Aujourd'hui, j'ai été faire un tour à plus de 300 mètres sous la terre. Ça a l'air impressionnant vite de même, mais ça ne l'est pas trop. En fait, c'est la réalité des dizaines de mineurs qui font rouler la mine Metanor. Une petite mine dite conventionnelle (comprendre un peu artisanale) dans le vaste marché québécois de la mine.
D'ailleurs, mon voisin de chambre que j'ai croisé hier soir avait l'air un peu à se demander pourquoi je venais travailler ici. « C'est juste une job ordinaire tsé… », m'a-t-il dit, d'un ton pour te faire sentir comme un gars de la Grande Ville.
Ben parle pour toi voisin, parce que pour moi, un travail de mineur, en 2015, ça n'existe pas.
Cette journée chargée en émotions s'est amorcée dans la cantine aux aurores. Une cafétéria animée où tu peux te commander des œufs et surtout placer ta commande pour ton lunch du lendemain, puisque le diner se prend au fond de la mine pour les employés dit « sous terre ».
J'ai reconnu Gaétan et Éric, deux gaillards que j'avais croisé dans leur gros F-150 à mon arrivée à la mine. Ils étaient un peu moins volubiles que la veille, peut-être à cause de la caméra et de l'heure matinale.
Un autobus nous a ensuite conduits dans un bâtiment situé proche de l'entrée de la mine. Chemin faisant, j'ai piqué une jasette avec un jeune homme dont j'oublie le nom. Il travaille à la mine depuis quatre ans. La paye est bonne et le travail pas trop pire. Lui, la mine est venue le chercher sur les bancs d'école à Val d'Or. Il n'est pas très volubile.
Les gars vont ensuite enfiler leurs vêtements de travail et se rassemblent dans une salle commune. Des responsables prennent la parole et donnent les consignes du jour. Le jargon minier me perd rapidement. Puis, les gars se dirigent vers la mine, pendant que le soleil commence à se pointer. Comme je suis le petit nouveau, je reste dans le bâtiment. J'y rencontre Luc, un responsable de la sécurité, qui me donne les consignes et règles à suivre pendant le travail. Il me briefe en même temps qu'une demi-douzaine de foreurs sous-contractants, qui creuseront depuis la surface jusqu'aux fêtes.
Quoi faire en cas d'accident graves, où aller si un feu se déclare, quel code envoyé aux patrons si telle ou telle autre catastrophe survient. La formation, courte, est à glacer le sang. Je chie dans mes culottes mais j'essaie de ne pas trop le montrer. Tous les hommes ici sont des armoires à glace. Je ne veux surtout pas être le gars de la Ville qui a peur de son ombre. Luc se fait rassurant. Il lit sans doute le désarroi dans mon visage. Tout ira bien. Les accidents sont rares.
On me donne un équipement. Une chienne orange fluo, un casque avec une lampe frontale, une ceinture pesante sur laquelle j'accroche une clé à molette – indispensable me dit-on – sans oublier des bottes d'eau à cap d'acier. On ajoute un imperméable parce qu'il mouille à plusieurs endroits dans la mine.
Vint le moment tant attendu, après le lunch où je n'ai pratiquement rien avalé. On m'amène devant la cage, par laquelle je vais descendre au niveau 8, à environ 900 pieds sous terre. La mine compte 14 niveaux. Marcel Côté – qui ressemble vaguement à l'acteur Michel Côté même s'il n'a aucun lien de parenté avec lui - opère la cage depuis le pont. Mais le gros du boulot se fait depuis un bâtiment surélevé en retrait, où un opérateur contrôle le treuil. La mine ne compte qu'un unique accès. Les employés, les gisements et le matériel empruntent le tunnel vers la mine.
Là, c'est mon tour.
La cage est plus petite que je croyais. Petite et surtout métallique sans fenêtre en plus d'avoir l'air un peu déglinguée. Une boite à sardine.
Marcel envoie un signal à l'opérateur du treuil. La cage descend. Rapidement. Beaucoup plus que je pensais. Mes oreilles commencent à se boucher. En moins d'une minute, la cage s'immobilise. Nous sommes arrivés au niveau 8.
Yves, un des contremaîtres, m'accueille. Il m'offre une visite guidée du niveau. Mon regard se fige un peu sur l'intérieur de la mine. Il fait très noir, plus que je croyais. Les parois rocheuses découpent une salle d'une vingtaine de pieds. Il y a des rails au sol et l'obscurité à perte de vue. Yves commence à avancer vers elle. Le sol est accidenté mais rapidement submergé d'eau. Celle-ci provient d'un bassin situé à la surface. L'eau provient des fuites un peu partout. Plus on descend dans la mine et plus c'est sec, m'apprend Yves.
En chemin, nous rencontrons quelques mineurs. Certains contrôles des engins qui se déplacent sur les rails. Je ne connais pas encore la nature de leur travail. Il est très bruyant dans certains cas, notamment ceux affectés au forage.
Mais qu'importe, pour l'heure ma seule victoire est de ne pas être claustrophobe. Je vis bien dans la mine, en fait j'essaie d'oublier où je suis. Et Yves inspire la confiance. Il me montre les issus de secours puis le refuge, où les gars vont prendre le lunch.
Une sorte de petite grotte chaude et humide dans laquelle on retrouve un micro-onde, un téléphone d'urgence et une longue table de pique-nique où il n'est possible de s'asseoir que d'un côté.
Il y a aussi un plan de la mine. Yves m'explique que la mine a été réactivée il y a quelques années, lorsque de nouveaux gisements d'or ont été trouvés. Les opérations avaient auparavant été abandonnées en raison de la chute du prix de l'or. Une compagnie étrangère opérait alors l'endroit. La Metanor l'a repris au moment où la valeur de l'or remontait. Résultat : la compagnie québécoise emploie des gens d'ici. Pour Yves, qui a roulé sa bosse dans des mines d'Abitibi et d'ailleurs, il y aurait présentement une sorte de ruée vers l'or à la québécoise porteuse d'espoir.
Ça se sent ici, puisque les mineurs rencontrés sont très jeunes. À 37 ans, je serais considéré comme un vétéran ici souligne Yves, qui travaille dans le milieu depuis plus de 20 ans. Malgré l'engouement, Yves semble bien content que son fils ait décidé de ne pas suivre ses traces.
La visite se termine, non sans grimper une échelle de 100 pieds pour atteindre un autre palier dans la mine. Une ascension ardue sans harnais. Puis, la cage nous a remonté à la surface.
La glace est brisée. La vie de mineur est possible pour moi.
Après le souper, j'ai accompagné Vincent et Kevin, deux jeunes mineurs, au dépanneur situé à la sortie de la mine. Vincent pilote un gros F-150, comme un peu tout le monde. Il ne fait sans doute pas bon débarquer ici avec une voiture électrique, sans risquer d'être lyncher en public.
Les deux jeunes mineurs ne semblent pas passionnés par leur travail. « J'étais pas ben bon à l'école », résume Vincent, qui travaille ici depuis 3 ans.
Malgré tout le salaire semble intéressant. Les mineurs peuvent aller chercher environ 100 000$ par année.
Assis dans ma chambre en train d'écrire ce journal, je me dis qu'il m'en faudrait au moins le double pour accepter une vie de mineur.
Mais là, ma mission sera de me familiariser avec ce nouvel environnement hostile. J'espère y arriver. Sincèrement.
Demain, le vrai travail commence. Mon cadran sonne à 5h15.
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