21 jours

en garderie

(Jour) 1

  • Moral : Anxieux
  • État d'esprit : Changement de décor
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 3
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 3
    • Odorat 3
    • Ouïe 3
    • Toucher 3

Ce qui est particulier avec une émission comme 21 Jours, c'est d'avoir la chance (oui oui la chance) de passer d'un univers à un autre à quelques jours d'intervalle. Ça faisait drôle de pousser les portes de la Douce École ce matin, c'est à dire une garderie privée établie depuis 25 ans sur la rue Beaubien, dans le quartier Rosemont-La-Petite-Patrie.

J'y suis d'abord allé simplement une première fois pour rencontrer la directrice Josée Poirier, qui a fondé l'endroit il y a un quart de siècle pour offrir une alternative aux installations en milieu familial qui étaient surtout la norme à l'époque.

Le premier contact m'a rassuré. Josée Poirier est une femme chaleureuse, simple et qui semble vraiment passionnée par son travail. « C'est sur le plancher la seule façon de voir si t'as la vocation ou pas », résume-t-elle, en parlant des nouveaux visages qui tentent leur chance dans le milieu de la petite enfance.

Il y a environ 80 enfants à la garderie, incluant ceux de la pouponnière réunis dans un bâtiment voisin.

Pour les trois prochaines semaines, je vais m'occuper de deux groupes d'enfants âgés de 2 ans et quelques mois. Bref, des enfants en plein terrible two à qui on doit apprendre à être propre.

Je viens d'ailleurs de passer par là il n'y a pas trop longtemps avec ma propre fille, aujourd'hui âgée de 3 ans et quelques mois. Par contre, je me demande bien comment – et surtout à quoi - je vais occuper ces enfants à chaque jour. Comme si je venais de réaliser d'un coup sec à quel point ma connaissance de la vie en garderie était faible. Mon fils (il a aujourd'hui 7 ans) et ma fille ont passé des années à la même garderie et je ne sais même pas trop de quelle façon ils ont occupé leurs journées. Un constat troublant et un peu tardif.

Comme s'il y avait une glorification de la vie scolaire à partir de l'école élémentaire seulement. Avant ça, un gros point d'interrogation.

Pour les trois prochaines semaines, mon travail sera de démystifier le travail de ces gens qu'on croise chaque jour et qui passent plus de temps avec nos enfants sans trop savoir ce qu'ils font avec.

J'ai hâte. Pour vrai.

(Jour) 2

  • Moral : Charmé
  • État d'esprit : Premiers changements de couches
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 8
  • Niveau de compétence 4
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 3
    • Odorat 3
    • Ouïe 3
    • Toucher 3

Un gros café en main, j'ai amorcé ma nouvelle vie d'éducateur en garderie ce matin. Comme je suis arrivé tôt, j'ai aidé une collègue (dont j'oublie le nom) à faire l'accueil des enfants. En gros, il y a une première salle à l'entrée de l'établissement et c'est là que tous les enfants se ramassent avant d'être éparpillés par groupes sur les deux étages de la garderie.

Chaque fois qu'un parent entrait avec son enfant, j'allais me présenter avec mon plus beau sourire. « Un homme, ça doit faire deux fois plus d'efforts que les femmes pour réussir à gagner la confiance des parents », m'avait dit Josée Fournier la veille. J'y reviendrai, mais vous devenez un peu pourquoi non?

Les parents étaient prévenus de ma présence entre les murs de la garderie. La quasi-totalité d'entre eux ont accepté d'avoir une équipe de tournage et un homme sans expérience (hormis l'éducation pas trop ratée à date de deux enfants). Ceux qui ont refusé en ont informé l'équipe et leurs enfants ne seront pas montrés à la caméra.

À l'accueil, il y a des jouets un peu partout, des casse-têtes, une petite cuisinette et un petit ensemble de construction pour enfants. J'ai tenté mes premiers rapprochements avec les amis, plutôt laborieux. Certains semblaient se demander qui est cet homme apparu de nulle part au milieu de leur petit monde.

Vers 8h15, on m'a présenté Noémi (pas de E ni de Y), l'éducatrice avec qui je risque de passer les prochaines semaines. Dans son local au rez-de-chaussée. Avec les enfants de son groupe, les débrouillards. Je risque aussi de passer du temps avec Débora (pas de H) et l'autre groupe de débrouillards situé dans le local voisin.

J'en sais très peu encore sur Noémi, sauf qu'elle est sympathique comme tout, un peu hyperactive et qu'elle conserve presque en tout temps un sourire contagieux. Ah oui, elle fixe aussi les gens droits dans les yeux lorsqu'elle leur parle. Sur une note moins légère, elle m'a appris que son fils aîné souffrait d'une forme d'autisme rare. La veille, on lui a justement dit que son fils resterait bloqué toute sa vie à un âge mental d'environ 4 ans.

Moi au lendemain d'une telle nouvelle, je serais probablement recroquevillé en position fœtale sous mon lit en train de maudire ma vie. Elle, elle est au milieu de son groupe avec un aplomb contagieux en train de distribuer les collations du matin aux amis qui ont pris place sur leurs chaises respectives autour d'une table carré verte.

Il y a d'abord Rose, la petite comique et leader qui parle beaucoup. Ensuite, Noam le petit tranquille qui dort rapidement à la sieste, Ariane qui aime les bracelets, Clara la gênée, Joshua (lui je ne l'ai pas sizé encore), Ylias l'énergique (un peu tannant peut-être ?), Simone la petite frisée (cheveux magnifiques) et la très attachante Flavie.

Les journées passent vraiment vite, m'avait prévenu Josée. J'ai vite compris pourquoi. Tout est réglé au quart de tour. Après la collation du matin, c'est l'heure de la promenade. Ensuite, c'est le diner, suivi de la sieste. Après la collation de l'après-midi, on fait des activités et des jeux jusqu'à l'arrivée des parents.

Noémi m'a mis au défi d'organiser une activité pour les enfants, qu'ils présenteront ensuite aux parents. J'avoue n'avoir aucune idée pour l'instant. Il me semble qu'ils sont jeunes pour apprendre une chanson ou une chorégraphie. On verra. Pour l'instant, ils sont jeunes certes, mais ils sont trop mignons comme tout et attachants. Je ne les connais pratiquement pas et ils me donnent la main pour aller à la salle de bain. La plupart n'ont pas de couche, mais il faut leur rappeler d'aller à la toilette après chaque activité. Ça devient vite étourdissant. J'ai nettoyé un pipi par terre seulement. J'avoue être un peu troublé par cet attachement rapide à mon égard. Je crois que les enfants de cet âge s'amourachent vite mais finissent par nous oublier aussi vite. Je sens déjà que ça va être difficile pour moi de couper le cordon.

Bon je ne suis pas si émotif que ça, mais j'ai vécu quelque chose d'intense avec la jeune Flavie qui s'est réveillée en pleurant pendant la sieste (un cauchemar de toute évidence). Elle est ensuite restée scotchée dans mes bras, en me jouant après l'oreille avec sa petite main pendant une bonne demi-heure. Sans blague, je ne suis pas certain que ma propre fille a déjà été aussi colleuse avec moi. C'est en tout cas un peu weird quand ce moment se passe avec une gamine que je ne connaissais pas quelques heures plus tôt.

Enfin, j'ai hâte d'apprendre à connaître mon groupe. Par contre, je sens que je vais être rapidement brûlé, puisque je suis sorti de là complètement épuisé. Tous les noms à mémoriser, les jouets à ramasser, les choses à répéter. Et ça ne fait que commencer… 

(Jour) 3

  • Moral : Motivé
  • État d'esprit : Routine, pipi, routine, pipi
  • Niveau de bien-être 4
  • Niveau de fatigue 7
  • Niveau de compétence 4
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 3
    • Ouïe 5
    • Toucher 5

La clé en garderie, c'est la routine. C'est ce que Josée m'a dit. C'est ce que Noémi m'a dit. C'est ce que tout le monde m'a dit. Le hic, c'est que la routine n'est vraiment pas ma force. Pas parce que j'ai une vie super wild. Mais simplement parce que puisque je n'ai pas de routine dans mon travail, il m'a toujours été impossible d'en établir une à la maison. Pas étonnant que mon fils et ma fille dorment encore une fois sur deux dans mon lit.

Tout ça pour dire que j'ai pris conscience que la journée d'aujourd'hui est pareille comme celle d'hier et risque d'être similaire à celle de demain.

À mon arrivée, j'ai pris les quelques enfants de mon groupe qui trainaient à l'accueil pour les amener dans mon local bleu. Même si j'avais mémorisé tous les prénoms hier, j'ai eu une espèce de blanc de mémoire en traversant la porte. Un des papas avait beau me saluer et me demander comment ça s'était passé la veille, je n'avais aucune idée du prénom de la petite fille qui lui tenait la main.

Ah oui ! La petite Ariane.

Heureusement tout ça m'est revenu assez vite. Noémi est arrivée rapidement et le petit local s'est rempli rapidement de notre petite gang. La maman de Flavie passe un peu de temps avec nous à discuter de tout et de rien. Celle de Joshua aussi. Je ne l'avais pas rencontré. Il tousse beaucoup d'ailleurs celui-là aujourd'hui. Il tousse et il éternue. J'ai dû me battre avec sur l'heure du diner pour mettre son coude ou sa main devant sa bouche. Lorsqu'il le faisait, il me cherchait du regard, fier. Drôle et belle sensation que celle d'inculquer quelque chose à des enfants. À cet âge, ils sont des éponges. Ou des perroquets plutôt. Il suffit de partir un derby de coucou-caché pour que tous les enfants se mettent à m'imiter. Même chose si je fais le bruit d'un fantôme ou si je fais semblant de foncer dans le mur. Le problème c'est que moi je fais semblant alors que des enfants de deux ans foncent littéralement dans le mur.

Ariane a l'air fatigué. Ylias aussi. Ce dernier arrive très tôt, parce que sa maman est éducatrice ici et doit commencer de bonne heure. À ce sujet, Naomi aussi a son fils, Victor, dans le groupe des grands au deuxième étage.

Avant la promenade au parc (super chouette), nous avons fait une ronde matinale avec les amis. En gros, on se réunit en cercle pour quelques activités reliées au thème du moment, en l'occurrence l'Halloween. On a chanté quelques chansons, dont celle du groupe (Les débrouillards). On a aussi fait une chorégraphie debout autour d'une marmite de sorcière imaginaire. Je dois apprendre à me laisser aller et cesser de me dire que si mes amis me voyaient, ils se paieraient ma gueule. Après tout, nous sommes au service de l'enfant et l'enfant apprécie. Il faut aussi parler son langage alors inutile d'essayer d'avoir l'air cool.

Les enfants ne sont pas encore habitués à moi. Certains demandent je suis où quand je vais aux toilettes, d'autres réclament Noémi quand je m'approche. L'apprivoisement fait partie de l'expérience. Parlant de toilette, on passe beaucoup de temps à y faire des allers-retours pour les pipis. Même chose pour habiller et déshabiller les enfants pour aller dehors. Ou distribuer les verres d'eau, assiettes, bavoirs, etc. à l'heure des repas et collations. C'est ça qui est le plus épuisant. Cette routine implacable et nécessaire, qui semble réconforter les enfants dans leur vie en garderie.

La sieste est un autre moment plus compliqué qu'on le croit. Il ne suffit pas de fermer les lumières et quitter la pièce. Il y a plusieurs étapes. Distribuer un à un les matelas, les doudous, les couvertures, lire l'histoire, mettre de la musique (toujours la même) et se promener dans la pièce pour calmer, flatter le dos, les cheveux ou simplement faire obstacle entre deux amis trop bavards. Ça prend environ une heure avant que tout le monde dorme. Certains le font en quelques secondes, puis il y a Rose qui gigote sur son matelas pendant une heure à l'affut du moindre son.

Après la sieste, le pipi, la collation, quelques jeux et les parents qui reviennent.

Et on recommence demain.

(Jour) 4

  • Moral : Accroché
  • État d'esprit : Jour de pluie
  • Niveau de bien-être 5
  • Niveau de fatigue 8
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Il tombait des cordes ce matin. Pour plusieurs humains, ça ne veut pas dire grand-chose. Pour un éducateur en garderie, ça veut dire qu'il va falloir occuper des enfants pendant au moins huit heures entre les murs d'une pièce d'environ six mètres par trois.

Je me suis levé très fatigué ce matin. J'ai pourtant bien dormi. Je me souviens avoir rêvé aux enfants de mon groupe. Je me souviens aussi avoir rêvé d'être kidnappé par des terroristes pendant un reportage en zone de guerre. J'étais bien traité me semble. Grosse nuit.

Bref, en me levant, j'ai réalisé que j'étais déjà contaminé. J'avais hâte de venir à la garderie pour retrouver mon groupe. Sous mes allures de douchebag insensible, je suis clairement un sensible.

À mon arrivée ici, Elsa, qui travaille à l'administration et aide parfois les éducatrices (en plus d'avoir le même nom que l'héroïne de la Reine des Neiges, ce qui est anecdotique certes dans la plupart des milieux, mais pas dans une garderie. C'est comme si t'étais animatrice de camp de jour et que tu t'appelais Marie-Mai) était déjà dans mon local avec les premiers enfants arrivés, soit Noam et Simone.

Je me suis retrouvé seul avec eux, à faire des Lego jusqu'à l'arrivée de Naomi et des autres amis. Deux des gars étaient absents, dont Joshua qui m'a éternué, morvé et toussé dessus toute la journée hier. Si je ne tombe pas malade, ça voudra dire que j'ai de supers anticorps.

Éléonore ne semble à son tour pas trop feeler. Elle est d'ailleurs assise à côté de Joshua autour de la table. Plusieurs enfants sont agités ce matin, à commencer par Flavie, qui a du mal à tenir en place et suivre les consignes. Elle doit d'ailleurs s'asseoir à l'écart pour se calmer un peu quelques minutes après la collation.

On a ensuite enchainé. Comme chaque jour, avec la ronde matinale. On a d'abord entonné la chanson thème du groupe, Les Débrouillards, sur l'air de « Il était une bergère ».

Ensuite, on a lu un livre en groupe, puis fait la ronde des sorcières.

Ensuite, on a fait un bricolage sur le thème de l'Halloween et un gros collage sur une grande feuille blanche.

Éléonore ne semblait pas filer beaucoup mieux. Elle fait un peu pitié et la morve coule sans cesse jusqu'à ses lèvres.

En fait, la plupart sont assez difficile à gérer. Une journée « moyenne », juste Noémi. « Une journée tough, tu verras, c'est une journée où tu regardes l'heure et t'as l'impression que les aiguilles reculent. »

Deux amis se sont fait caca dessus, Flavie et Simone renversent pour leur part tout etc.

Habituellement, la sieste donne l'occasion à Noémi de souffler un peu. Il y a bien sûr de la planification à faire, pour l'Halloween demain notamment. Les enfants dorment théoriquement entre 13 et 15h.

Théoriquement, puisqu'en fait les Rose, Ariane et Flavie gigotent jusqu'à 14h00 avant de dormir. Et Ariane s'est aujourd'hui contentée de dormir une quinzaine de minutes avant de se lever. Et comme ils sont tous cordés sur des matelas les uns contre les autres, le premier levé fini rapidement par réveiller tout le monde.

En après-midi, on a refait du bricolage, joué à Monsieur patate, fait des aller-retours à la salle de bain et mangé des repas imaginaires avec les aliments en plastique.

En discutant, Noémi m'a brièvement parlé de son salaire. J'avoue avoir été estomaqué d'apprendre son taux horaire, soit 17$ de l'heure. C'est un peu plus dans un CPE apparemment. Ça donne environ 25 000$ par année pour gérer huit enfants neuf heures par jour. J'avoue que ça fait un peu bizarre quelques semaines après avoir passé du temps avec des mineurs qui gagnaient environ 120 000$ pour permettre à des gens de s'acheter du bling bling.

Enfin.

Mes collègues de La Presse organisent un cinq à sept ce soir et je n'irai pas. Ça semble banal, mais habituellement il faut presque une mortalité dans ma famille pour décliner ce type d'invitation.

Impossible d'être scrap demain. L'Halloween s'annonce intense cette année.

(Jour) 5

  • Moral : Épuisé
  • État d'esprit : Le chevalier de la ronde matinal
  • Niveau de bien-être 5
  • Niveau de fatigue 9
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 9
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Je cogne des clous au moment d'envoyer ces lignes. Ma semaine me rentre dans le corps comme on dit. C'est une nouvelle sorte de fatigue on dirait. Une fatigue d'avoir été trop stimulé, alerte, du bruit, de parler fort et en A-R-T-I-C-U-L-A-N-T chaque consigne pour que des enfants de deux ans et des poussières comprennent.

Bref, j'ai ma semaine dans le corps et même si mon travail n'est pas physique (bon je suis toujours en train de faire quelque chose, mais rien de surhumain), j'ai juste envie de m'écraser dans un fauteuil et gaspiller des heures importantes devant Netflix. Ah non c'est vrai, j'ai deux enfants probablement très excités à l'idée de passer l'Halloween demain. Ce soir, nous avons prévu aller au Jardin botanique pour les Lanternes. Chouette…

Sinon, la journée a été intense comme prévu. Vêtu de mon plus beau costume de chevalier (bof), j'étais sur place à 7h30 ce matin pour accueillir les premiers enfants. Ceux de mon groupe se sont fait attendre quand même longtemps. Ylias, le premier arrivé, n'était pas déguisé. Triste. Flavie est arrivée en danseuse de Flamenco, suivie de Noam en licorne, Ariane en fée, Joshua en pompier, Simone en chat, Éléonore en Blanche-Neige puis ma Rose en citrouille. « J'ai un gros bide », disait cette craquante enfant, tellement allumée au sein du groupe.

L'effet « Halloween » n'a pas mis de temps à se faire sentir. Les enfants n'écoutaient pas, distraits par leurs déguisements et l'équipe de tournage présente aujourd'hui. Noémi m'explique que la moindre chose qui dérègle leur routine peut chambouler toute la journée. Même ma présence créée une interaction anormale et bousille un peu la routine habituelle, constate Noémi, qui a l'air aussi un peu au bout du rouleau aujourd'hui.

Après une razzia au magasin à une piastre, j'ai apporté avec moi un chaudron de sorcière pour la ronde matinale et aussi des petits pots de glue pour les faire patienter pendant le pipi en groupe. Noémi a commencé à relever davantage mes points à améliorer. Je constate qu'il me reste beaucoup à faire et que sans elle, je serai perdu. Je dois parler plus fort et articuler davantage. Aussi, je dois être plus ferme à l'occasion. J'ai ainsi échoué lamentablement ma mission de calmer des enfants surexcités et les convaincre de s'asseoir sur leurs matelas pour une histoire avant la sieste.

Je me suis d'ailleurs endormi momentanément pendant la sieste, au son de la musique zen, la même chaque jour.

En après-midi, moi et Noémi avions préparé une activité spéciale. Chanter la comptine de La Nuit de Passe-Partout avec des lampes de poche. J'avais acheté des bâtons fluorescents pour utiliser dans le noir pour les enfants. Un succès, même si maintenir leur attention n'est pas simple.

Je commence d'ailleurs à stresser un peu pour le spectacle que je dois préparer avec les enfants pour présenter à leurs parents à la fin de l'expérience. Je vais y penser en fin de semaine.

Au fait, ça fait longtemps que je n'ai pas été aussi content d'être vendredi.

Je suis cependant certain que mes enfants vont me manquer.

Merde, je suis foutu.

(Jour) 6

  • Moral : Reposé
  • État d'esprit : Party d’Halloween
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 6
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 9
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Quelle sensation étrange de se lever avec seulement deux enfants. La maison semble si tranquille. Et pourtant mes rejetons sont surexcités en cette journée d'Halloween. Après une journée de ménage et de tâches domestiques plates, nous sommes allés chercher des bonbons dans le quartier. Mon frère et ma voisine nous accompagnaient. Nous sommes revenus ici en soirée et une petite fête s'est improvisée, avec d'autres amis venus nous rejoindre. Le party s'est prolongé jusqu'aux petites heures. Faut croire que j'avais besoin de ça pour ventiler cette première semaine intense. 

(Jour) 7

  • Moral : Anxieux
  • État d'esprit : Uh-oh !
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 8
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 6
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 3
    • Ouïe 2
    • Toucher 5

Uh-oh ! Je me suis levé ce matin avec les premiers symptômes d'un rhume. Je commence à moucher et j'ai un léger mal de gorge. Même si j'ai le cerveau un peu embrouillé, je suis content de ma soirée festive d'hier, ça m'a permis de décompresser pas mal. Je suis prêt à attaquer ma deuxième semaine à la garderie.

Noémie ne sera pas là demain en plus, je vais rencontrer l'éducatrice qui la remplace le lundi. J'ai presque hâte, de revoir les enfants aussi.

Ça regarde bien finalement.

(Jour) 8

  • Moral : Malade !
  • État d'esprit : Le bordel entre deux kleenex
  • Niveau de bien-être 2
  • Niveau de fatigue 9
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 3
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

« Je pense que tu devrais retourner chez toi ou au moins aller prendre l'air. »

Ça fait au moins une heure que Josée m'entend moucher et éternuer à répétition. Déjà que je ne me mouche pas trop subtilement avec mes bruits de trompette.

Bref, je me suis levé malade pour la première fois depuis le début de l'expérience. C'était aussi prévisible qu'un slogan sur le changement pendant une campagne électorale.

À force de moucher la morve et recevoir les microbes des enfants, c'était pas mal écrit dans le ciel. Je me sens si faible en plus. D'ailleurs, mes paupières ont du mal à rester ouvertes en écrivant ces lignes.

Il faut dire que la journée n'était pas reposante en partant. Et je n'ai pas trop eu le temps de récupérer en fin de semaine avec le hockey de Vic, les lanternes du jardin botanique et l'Halloween.

Naomi n'est pas là le lundi, c'est Fatia qui la remplace, une étudiante en logistique au HEC qui n'a pas d'enfant mais qui travaille dans le milieu des garderies depuis quelques années.

Après avoir suivi les recommandations de Josée qui m'invitait à aller prendre l'air, j'ai réintégré mon groupe et ma job au moment de la promenade. J'étais quand même content de revoir mes petits monstres. Un peu touché aussi de les voir se précipiter sur moi pour m'embrasser.

Surtout la petite Rose, Ilyas et Flavie.

Les enfants sont beaucoup plus dissipés en présence de Fatia. Ça fait seulement un mois qu'elle est à la Douce École et ça parait un peu. Elle mélange encore les noms et perd un peu le contrôle de son groupe.

Un peu comme l'ambiance d'une classe quand un suppléant remplace l'enseignant titulaire. Je fais de mon mieux, je dois même hausser le ton à l'occasion. Sans prétention, je crois avoir été vraiment utile pour la première fois, puisque ne nous n'étions pas trop de deux pour gérer neuf petites monstres un peu hors de contrôle.

Surtout au diner, où c'était un peu le free for all. Tous les enfants ont voulu aller aux toilettes en même temps. On avait quatre jeunes dans la salle de bain et les autres faisaient la file pour les petits pots dans notre salle.

Après avoir nettoyé quelques cacas et distribuer de peine et de misère les repas à tout le monde, la sieste a été le moment le plus attendu. Heureusement, les enfants se sont endormis rapidement à la sieste, probablement brûlés de leur fin de semaine et par cette matinée agitée.

À la radio ce matin, on parlait d'un reportage à l'effet que les CPE sont délaissés au profit des garderies privées à cause des modulations de tarifs en fonction des salaires. Une bonne nouvelle pour Josée, qui suivait l'histoire de près de son bureau. Ses affaires semblent aller plutôt bien justement puisque je l'ai entendu dire à un parent qui voulait inscrire son enfant que son établissement affichait complet pour le moment.

Sinon, je vais me coucher tôt ce soir. Pas envie de traîner ce rhume trop longtemps.

(Jour) 9

  • Moral : Soulagé
  • État d'esprit : Retour à la normale
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 7
  • Niveau de compétence 6
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 6
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Matin atypique à la maison, avec l'équipe de tournage qui s'est pointée à la porte vers 6h30 pour filmer notre routine domestique.

La maison était anormalement propre et mes enfants anormalement sages. Pas qu'ils sont tannants d'habitude, mais la caméra semblait les figer un brin. Bref, on passera pour une famille sage et modèle, ce qui fera taire une armée de détracteurs qui doivent trouver que je suis un absent et légèrement alcoolique. L'idée derrière ça était cependant de démontrer que la vie continue en hors de la garderie. C'était drôle d'ailleurs de recevoir quelques conseils pour m'aider dans mon expérience de la part des éducatrices de la garderie de ma fille. « Il faut des jeux simples pour ne pas perdre leur attention », m'a conseillé Fatima au sujet du spectacle que je dois préparer pour mon groupe.

J'étais par ailleurs pas mal content de retrouver Noémi. La journée, même occupée et éreintante, paraissait ainsi un peu plus calme. Comme il faisait anormalement chaud à l'extérieur, nous sommes allés au parc en profiter. Le simple fait d'habiller les enfants pour sortir est épuisant. En revenant de la promenade, j'ai un peu perdu patience avec Ylias, qui n'écoutait pas la consigne de se coller contre le mur dans la ruelle. On oblige les enfants à le faire pour éviter de les perdre ou le pire si une voiture passe. Je l'ai ensuite tiré par le manteau un peu fermement lorsqu'il refusait d'obtempérer ensuite pour entrer à l'intérieur. Après coup, on se sent un peu ridicule de s'en faire pour des détails. Mais sur le coup, ces petites insignifiances sont vraiment capables d'aller nous chercher. Et comme j'ai toujours l'impression que nous sommes à deux doigts de perdre le contrôle, je dois avoir des yeux tout le tour de la tête et j'ai sans doute la mèche un peu courte.

Après tout, même si les éducateurs font des salaires dérisoires, ils doivent quand même remettre les enfants en un seul morceau à leurs parents le soir venu.

Au moment de la sieste, mon déodorant avait lâché. J'étais épuisé de répéter les mêmes choses, les pipis, les dégâts avec les verres d'eau (un classique), les pipis et encore les pipis. Je réalise le manque d'égard envers les éducateurs, payés environ 15$ de l'heure pour gérer la génération de demain huit ou neuf heures par jour. Sur Facebook, les gens ont pourtant l'air de tout miser sur les enfants. En pratique c'est visiblement un peu différent.

Enfin, je commence à comprendre ce que Noémi veut dire quand elle me dit qu'il faut une vocation pour ce travail. On ne le fait certainement pas pour s'enrichir.

Est-ce que j'ai la vocation moi ? Je ne sais pas. Je ne crois pas. Et pourtant, des petits moments magiques comme Simone qui me tend les bras après sa sieste comme si j'étais la personne la plus importante du monde font ma journée.

(Jour) 10

  • Moral : Frustré
  • État d'esprit : Criss d’habillagedéshabillage
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 7
  • Niveau de compétence 6
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 4
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 3
    • Ouïe 5
    • Toucher 5

Après la très longue journée d'hier, qui a culminé par une conférence en soirée sur mon livre dans une bibliothèque (un gars, assis dans la première rangée, s'est d'ailleurs endormi…), j'étais content de vivre une journée plus relaxe aujourd'hui, sans équipe de tournage dans les pattes. J'aime bien l'équipe de tournage, et même le réalisateur Gabriel qui agit comme un tyran avec moi, mais leur présence a un effet sur les enfants, qui sont alors un peu plus excités.

Sinon, la routine s'installe.

Pas le choix, la routine est vraiment le nerf de la guerre. Noémi me l'a répété 150 000 fois. Je le constate désormais. La moindre petite différence dans le train-train quotidien semble désorganiser le groupe. Par exemple, je me suis assis près de Simone pour la collation, alors que je suis d'ordinaire sur ma petite chaise bleue près de Joshua et Clara. Les enfants l'ont tout de suite remarqué, en m'invitant à retourner à MA place.

La partie que je déteste le plus précède la promenade à l'extérieur. On doit amener les enfants s'habiller au vestiaire. Chaque fois, c'est l'enfer. Et nous sommes deux en plus. Je crois que je virerais fou si j'étais seul pour le faire. Certains enfants veulent s'organiser seuls, ce qui est toujours un peu bordélique. Les manteaux, bottes, tuques et mitaines sont mélangés. Les premiers qui sont prêts courent partout. On doit les obliger à rester assis, ce qui est pratiquement impossible. Il faut aussi moucher les nez qui morvent continuellement, comme des champelures qui coulent à perpétuité.

J'ai perdu patience avec Joshua, qui tenait ABSOLUMENT à mettre sa botte dans le pied gauche avant l'autre. Comme j'avais déjà la droite dans la main, j'ai un peu forcé la note. La crise. La méga crise. Celle où l'enfant ne voit plus clair et s'égosille comme un chat qu'on égorge. Si bien que Josée est venue le chercher pour l'amener à l'écart. Je me sentais un peu coupable, mais pas trop puisque j'ai huit enfants à habiller et déshabiller. Je n'ai pas le temps de céder aux moindres caprices de chacun. Au parc au moins, c'est toujours un moment agréable.

Ma zone de confort je dirais. Les enfants me réclament à cause de mes skills de pousseur de balançoire et conducteur de vaisseau spatial imaginaire dans le module. Je me sens comme une vedette. « J'entends mon nom résonner partout. Je passe par-dessus le fait que la plupart m'appellent « Diego », comme le personnage animé aliénant et très populaire auprès des jeunes.

Pendant le diner, Noémi m'a demandé si j'avais maintenant un chouchou dans le groupe. C'est un peu tabou, mais elle m'avait dit le premier jour que ça se ferait tout seul. Pas le choix de l'admettre, j'ai une affection naturelle envers Rose et Flavie, qui me le rendent bien en étant souvent scotchées sur moi. J'ai plus de misère à m'attacher aux garçons, sauf Noam qui est juste trop cute. Les deux autres sont plus énergiques, imprévisibles et piquent des colères noires, susceptibles d'user grandement ma patience qui a, je le reconnais, ses limites.

Le petit Ylias, même s'il n'écoute pas trop et me fait parfois sortir de mes gonds, est pourtant un des plus polis du groupe.

Mais faut pas exagérer non plus, je m'attache à chacun d'entre eux et je sais déjà que ça fera bizarre de ne plus les voir à la fin de cette expérience.

Après le travail aujourd'hui, je dois prendre mon vélo jusqu'à l'aréna pour une pratique de hockey de mon fils.

Cette impression que ma vie entière tourne autour des enfants.

(Jour) 11

  • Moral : Vidé
  • État d'esprit : Sortie à l’épicerie et « léger »
  • Niveau de bien-être 5
  • Niveau de fatigue 8
  • Niveau de compétence 4
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 2
    • Ouïe 5
    • Toucher 5

On avait une activité au menu aujourd'hui. Quelque chose de très banal d'ailleurs. Avec notre groupe, nous sommes allés à l'épicerie pour acheter un diner collectif. Les parents étaient pas mal contents de n'avoir aucun lunch à faire.

Ça a l'air con, mais le simple fait de marcher avec la corde jusqu'au supermarché situé à quelques coins de rue se transforme en expédition périlleuse.

D'abord il faut se taper les satanés manteaux et bottes de tous les enfants. Noémi n'était pas là pour m'aider en plus, si bien que j'ai rapidement perdu le contrôle. Quelques enfants s'étaient cachés dans un coin, d'autres couraient dans tous les sens. Il fallait que je tire littéralement sur Ylias et Joshua pour les amener devant leur casier. Je déteste vraiment cette étape de la journée. La petite ballade jusqu'à l'épicerie n'a pas été de tout repos non plus. Les enfants – il faut les comprendre – ressentaient le besoin de toucher tous les aliments et produits. Ariane n'a pas pu s'empêcher de mettre un concombre dans sa bouche, comme si c'était un jouet en plastique.

Ylias n'était pas capable de tenir en place et même Noam, d'ordinaire si sage et tranquille, avait la bougeotte sans arrêt et ne suivait pas les consignes.

Au moins le diner s'est super bien passé. Les enfants avaient l'air fier de préparer eux-mêmes leur propre sandwich et d'avoir chacun un Ficello. Une sorte de fierté quoi.

Après le diner, j'ai eu la « bonne idée » de pratiquer un peu le spectacle que je prépare avec mon groupe pour présenter aux parents le dernier jour de mon expérience. Mauvaise idée parce qu'à deux ans et des poussières, les enfants ont une capacité de concentration vraiment limite. Quand Naomi n'est pas là en plus, j'ai vraiment du mal à obtenir le silence voire le contrôle. Je perds patience rapidement et c'est un cercle vicieux puisque les enfants se désorganisent de plus en plus à mesure que je m'énerve. 

Tout ce que je voulais, c'est que les enfants, dans leur rôle des nains de Blanche-Neige, se tiennent tranquille pendant que l'on chante à la queue leu leu « Hi-ho ! Hi-ho ! Nous rentrons du boulot !»

À part Rose, j'étais incapable d'avoir l'attention du groupe, ni même de les rassembler debout dans un coin de la salle de jeux. Joshua et Ylias avaient un comportement dissipé qui me rendait très de mauvaise humeur, presque agressif. C'est tellement stupide quand on y pense. Ils ne sont quand même pas en train de voler une banque. Ils n'obtempèrent juste pas aux consignes pendant que j'essaie de leur apprendre une tune de nains. C'est fou – voire même un peu épeurant – de constater à quel point de si petites insignifiances peuvent aller nous chercher. Peut-être justement parce que la consigne demandée nous paraît tellement niaiseuse à nous.

Bref, rassurez-vous, je ne vais frapper aucun enfant durant cette expérience. Je réalise simplement de jour en jour ne pas avoir cette vocation essentielle à ce travail. L'expérience dure trois semaines. Juste imaginer faire ce travail – à ce salaire – durant un mois, un an, 10 ans me donne le vertige.

Dans tous les cas, ce spectacle, que j'avais rangé dans la catégorie « activité bonbon » ne sera pas facile à monter.

Au moins, personne ne s'en plaindra. Qui en voudrait à un enfant de deux ans ?

À part moi bien sûr.

(Jour) 12

  • Moral : Zen
  • État d'esprit : L’autre garderie
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 6
  • Niveau de compétence 6
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 2
    • Ouïe 5
    • Toucher 5

Aujourd'hui, j'allais faire un tour chez les grands. Quand je dis grand, je parle des enfants de 3-4 ans. Fait particulier, j'accompagnais deux éducateurs, Damien et Ryan, une espèce pourtant extrêmement rare dans l'univers des garderies.

Le premier est un Français d'origine âgé de 30 ans issu du milieu de la restauration qui travaille ici depuis 3 ans. Le deuxième est un Ontarien d'origine qui travaille ici depuis avril, après avoir écumé une ou deux autres garderies.

Les gars font une super équipe et j'ai été frappé d'entrée de jeu par l'ambiance différente qui régnait dans le groupe. Pas nécessairement à cause de l'approche gars versus fille. Ryan milite d'ailleurs farouchement pour faire tomber les stéréotypes, tant chez les enfants que chez les éducateurs. Mais la grande différence réside dans la clientèle. Les enfants ont un an de plus que ceux de mon groupe, mais tout est différent. D'abord, ils écoutent et obéissent sans faire d'histoire à la moindre consigne. Puis, ils sont autonomes. Par exemple à la collation, Damien leur a simplement demandé d'aller se laver les mains et s'asseoir à table pour manger un fruit que tous s'exécutaient machinalement. Mieux que ça, ils sont supers fiers de le faire à cet âge. Les enfants sont aussi moins timides et ont 1000 fois plus de conversation. Ils ne me connaissent pas mais viennent me raconter avoir déjà fait du poney, ce qu'ils ont mangé la veille, leur plan de fin de semaine etc. Sans filtre. C'est vraiment trop craquant. Je me sens vraiment en congé, en vacances voire en tourisme dans le local. Les gars m'ont dit avoir été attiré par ce travail par amour pour les enfants davantage que dans l'espoir de faire une différence tangible dans leur vie. Comment ne pas les croire à les voir et entendre interagir avec les enfants qui ont tous mille histoires à leur partager. Ryan, qui a une belle voix, endort les enfants avec des berceuses et comptines bilingues. D'ailleurs, avec l'accord des parents, il mène ses interactions dans les deux langues. Les enfants semblent d'ailleurs comprendre des mots difficiles tellement ils commencent à être habitués. « À cet âge, ils peuvent assimiler le langage plus facilement. »

Aller au parc avec des enfants de cet âge est également plus amusant. On peut courir, se tirailler, jouer à la cachette. C'est vraiment cool et plus épuisant. Comme ils sont tous propres, ils vont eux-mêmes aux toilettes en arrivant, avant de se mettre à table et sortir leur boîte à lunch.

Vrai.

Comme les enfants sont propres, pas besoin de les accompagner à la toilette.

Ils y vont seuls et reviennent, en plus de se laver les mains seuls avant le dîner qu'ils mangent tout aussi seuls.

Et les enfants pigent à mesure eux-mêmes dans leurs boîtes à lunch pour s'approvisionner.

En après-midi, nous avons lu une histoire. Autre différence notable : les enfants étaient suspendus au bout de mes lèvres pendant que je racontais l'histoire de Billy le hamster qui souhaite devenir gangster.

La mignonne petite Alice est ensuite venue me faire un câlin spontané. “Ah toi, on t'aime tellement", m'a dit la fillette.

J'avoue ressentir un petit malaise devant ce trop-plein d'amour non-mérité. Comme un filet désert au hockey.

Et puis, même s'ils sont 1000 fois plus difficile à apprivoiser, je n'échangerais pas mes débrouillards et Noémi.

Que voulez-vous, on s'attache à ces petites bêtes-là.

(Jour) 13

  • Moral : Relax
  • État d'esprit : Routine
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 7
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 9
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 2
    • Toucher 5

Les semaines passent à un rythme fou. Déjà samedi. Le métier commence sans doute à entrer, puisque je suis moins crevé que la semaine dernière. Peut-être que ma journée d'hier avec les plus grands m'a aidé à me reposer un brin. Je dois cependant m'occuper des deux enfants qui vivent avec moi, qui ont moins vu leur père ces derniers temps que les Débrouillards.

(Jour) 14

  • Moral : Déçu
  • État d'esprit : Encore malade !
  • Niveau de bien-être 9
  • Niveau de fatigue 5
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 9
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 2
    • Toucher 5

Gros mal de gorge ce matin.

Ça fait deux dimanches en ligne que je ne suis pas top-shape. J'ai surtout mal à la gorge aujourd'hui. J'espère que ça sera correct demain. Je vais me reposer aujourd'hui, m'écraser dans le sofa devant des films avec les enfants. Victor commence à vieillir, je peux enfin commencer à regarder des choses qui ont de l'allure. Au fait, j'avais oublié à quel point c'est excellent le film Goonies.

Je serai avec Fatia demain. Je me sens utile avec elle, parce que les enfants me connaissent pratiquement plus.

(Jour) 15

  • Moral : Confiant
  • État d'esprit : Balancer Clara
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 8
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 3
    • Odorat 2
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

J'ai failli prendre congé ce matin. J'ai un gros mal de gorge depuis samedi matin. Je carbure aux pastilles pour la toux et j'ai mal dormi. Si j'étais à La Presse, j'aurais pris off. 

Mais j'ai décidé de rentrer. Pourquoi ? Parce qu'être malade est normal au royaume des microbes. Mais surtout, parce que j'avais hâte de voir mes petits monstres et comme il ne me reste qu'une semaine, je veux me gâter. D'autant plus que je serai seul avec le groupe pour la première demain et que je voulais les voir aujourd'hui pour préparer le terrain. En fait, c'est la meilleure pratique pour moi les lundis, puisque Noémi n'est pas là et j'ai plus de latitude et de responsabilités avec Fatia, qui a passé moins de temps avec les jeunes que moi.

Elle a d'ailleurs du mal à se rappeler leurs noms, en plus de les mélanger constamment.

Et quand Noémi n'est pas là, je deviens alors le chouchou des enfants, qui se sont jetés sur moi – Noam en tête – dès que j'ai posé le pied dans le local avec mon café ce matin.

Flavie est venue s'asseoir sur moi, pendant que je faisais un casse-tête avec Clara. Lorsque Rose est finalement arrivée un peu plus tard, elle a demandé à son père de lui faire faire l'avion jusqu'à mes bras, une façon d'échanger la petite.

Bref, je m'attache mais je commence surtout à appréhender la fin. Déjà. J'ai l'impression que je viens d'arriver et déjà j'anticipe de ne plus voir mon groupe. Ils vont m'oublier vite. Sans doute. Mais moi ? Ce n'est pourtant pas la première fois que je m'attache à des gens. Mais là, c'est différent. Les enfants n'ont aucune idée du rôle qu'ils jouent dans cette histoire. Eux ils m'aiment pour ce que je suis. Point barre. Ils n'en n'ont rien à cirer de l'émission. Pas avant plusieurs années en tout cas.  Vont-ils la regarder lorsqu'ils seront grands ? La poster sur leur Facebook du futur? Sans parler d'obsession, je pense beaucoup à eux. J'en rêve même parfois. Non, ça va être étrange de disparaître aussi vite que je suis apparu dans leur jeune vie.

Au fait, je ne dois pas être trop mauvais comme éducateur, puisque Fatia pensait jusqu'à tout à l'heure que j'étais un véritable employé de la boîte et que l'équipe de tournage n'avait aucun rapport avec moi. Faut croire que je ne m'en tire pas trop mal. Étant d'origine algérienne, elle trouve d'ailleurs étonnant le fait que je m'occupe des enfants, en plus de faire la vaisselle et changer des couches. « Les hommes de chez nous ne font pas des choses comme ça !»

À chaque moment de la journée, j'essaie donc de profiter pleinement du moment présent. Au parc par exemple, je m'efforce de jouer avec tout le monde. Mais j'ai une tradition avec la timide Clara qui, me tend les bras pour embarquer dans la balançoire dès qu'on arrive. Elle passe ensuite toute la période assise dans sa balançoire, un gros sourire plaqué au visage. 

Et moi, je me dis que c'est exactement ce genre de truc qui va me manquer.

Rien de déterminant sur le sort de la planète là.

Juste balancer Clara.

(Jour) 16

  • Moral : Au bout du rouleau
  • État d'esprit : Seul au monde
  • Niveau de bien-être 2
  • Niveau de fatigue 10
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 2
    • Ouïe 5
    • Toucher 2

J'ai la garderie bipolaire je crois. J'écrivais hier que j'allais m'ennuyer de mes petits amours au terme de cette expérience qui tire à sa fin.

Au moment d'envoyer ces lignes, je suis à bout de nerfs, en proie à une violente surdose de mioches. 

La raison : j'ai aujourd'hui passé ma première journée complète avec mon groupe au complet.

Trois constats s'imposent :

1-  Je ne suis sans doute pas fait pour la vie en garderie

2-  Je trouve indécent l'idée de faire un tel travail pour un salaire aussi dérisoire.

3-  Oui, il est possible de fantasmer d'étriper un enfant de deux ans, même si on ne le ferait pas pour de vrai.

Certes j'exagère un brin, mais c'est de loin la journée la plus éprouvante depuis le début de cette expérience. Plus encore, j'ajouterai que c'est la journée la plus difficile parmi toutes les expériences que j'ai effectuées dans le cadre de cette émission.

Et pourtant, je n'aurais pas pu faire les choses différemment. Dans ce sens, je suis plutôt fier de moi. Aucun enfant n'a perdu la vie ou n'a été victime de cruauté sous mon joug.

Le matin s'était amorcé pourtant tranquillement. Les enfants étaient d'abord un peu surpris de se retrouver seuls avec moi. Certains demandaient où était Noémi. Elle était physiquement dans la garderie, mais c'était préférable qu'elle reste à l'écart sinon les enfants feraient une crise en la voyant. Les enfants m'aiment, mais pas à ce point-là.

Les choses ont commencé à se corser après la collation. On a d'abord pratiqué le spectacle avec les petits bonnets en laine de couleurs fabriqués par ma blonde la veille. Une répétition complètement ratée. Les enfants n'écoutaient juste pas et s'éparpillaient dans toutes les directions.

Trainer tous les enfants à la salle de bain pour le pipi étaient aussi l'enfer. Avec Noémi, ils restent assis, en silence, en attendant d'aller pisser tour à tour. Avec moi, ils étaient debout, bruyants et hors de contrôle.

Puis, vint le moment tant redouté, celui de les habiller pour la ballade au parc. Le pire scénario s'est matérialisé.  Les enfants couraient partout, refusaient de s'habiller ou de se laisser habiller. La moitié n'a pas voulu mettre ses bottes. L'autre ses mitaines. Enfin, quelques-uns ont essayé de se sauver pour courir dans le corridor.

J'ai claqué une première porte. Puis une autre. Avant de sortir la carte de la menace : “Donc, vous voulez qu'on reste ici? Parfait alors!”

Évidemment, après coup, on se sent pas mal niaiseux. Après tout, on n'énerve pour quoi au juste? Des enfants qui refusent de mettre leurs mitaines. Des enfants qui ont deux ans…

Des peccadilles finalement. Mais ces futilités peuvent aller nous chercher dans des zones très sombres de notre cerveau. Comme si le fait de ne pas obéir à des consignes que nous, adultes, jugeons pourtant simples et claires pouvaient nous faire sortir de nos gonds.

Bref, même la ballade au parc, d'ordinaire un moment bonbon de la journée, a été périlleuse. Ylias se sauvait pour ne pas revenir avec moi à la fin. Flavie est tombée du banc et s'est égratignée au front.

Au retour, j'ai dû tenir Ylias – qui refusait de marcher parce qu'il n'était pas à côté de Rose dans le rang –d'un bras et la corde - au bout de laquelle trainait le reste du groupe - de l'autre.

On aurait pu tordre mon chandail tellement j'avais chaud.

Au loin, Noémi suivait avec l'équipe de tournage en se disant probablement que son emploi n'était pas menacé par moi.

Le diner s'est bizarrement bien passé. Au moins pendant que les enfants mangent, ils sont occupés. Flavie est encore tombée de sa chaise et le sol était couvert de nourriture. Mais j'étais plutôt content dans l'ensemble. La sieste a par contre été un autre irritant. Les enfants ne voulaient pas rester sur leurs matelas. Ils ne tenaient juste pas en place. J'ai réussi à finalement capter leur attention grâce à Caillou et le Loup. Une histoire ridicule mais suffisante pour retenir l'attention des enfants.

J'ai finalement réussi à tous les endormir un à un, sauf Rose qui a fermé l'œil quelques minutes à peine.

Le “party” s'est poursuivi après la sieste. Simone m'a fait trois cacas, Rose un (dans ses culottes), sans compter plusieurs pipis. Heureusement, la journée était alors presque terminée après la collation d'après-midi. Mon local sentait les excréments et les jouets trainaient partout dans cette mer de décibels que le maire de Saint-Lambert aurait trouvé agressante. Quand les premiers parents sont apparus dans le cadre de porte en fin de journée, j'étais heureux comme Christophe-Colomb qui a vu les côtes américaines pour la première fois. J'ai dû justifier le bobo de Flavie à sa maman…qui a retrouvé les mitaines de Noam dans les poches du manteau de sa fille. J'ai aussi perdu les bas de Simone et Joshua s'est tapé une crise majeure lorsque sa mère est venue le récupérer.

Quand j'ai quitté le local vers 17h15, j'avais mal aux jambes et au dos. Je me disais surtout que cette expérience cauchemardesque constitue le quotidien des éducatrices en garderie.

Ces gens ont à jamais tout mon respect.

(Jour) 17

  • Moral : Fatigué
  • État d'esprit : Babar et Blanche-Neige
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 9
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 3
    • Odorat 2
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Après la journée éreintante de la veille, la sortie à la Maison Symphonique avec le groupe des plus vieux était plus qu'appréciée.

Une vingtaine d'enfants participaient à l'événement, accompagnés par quatre éducateurs (incluant moi) et à peu près autant de parents. Bref, c'était facile comme mandat. Moi et Nathaëlle, la maman de Camélie, avions quatre enfants sous notre responsabilité : Camélie, Lou, Laura et Gabrielle. Quatre fillettes plutôt sages qui sont propres et qui écoutent les consignes. Le rêve. Nous avons mis le cap vers la Place des Arts tôt en matinée.

D'abord une marche d'environ 15 minutes jusqu'au métro Beaubien, suivie d'une ballade en métro (incluant un transfert à Berri-UQAM) qui a probablement été le moment fort de la plupart des enfants. Ces derniers aimaient bien s'agripper aux poteaux dans les wagons. Les passagers aussi semblaient sortir de leurs bulles routinières pour admirer ce cortège haut comme trois pommes.

Le spectacle était présenté dans la très spacieuse nouvelle salle de l'orchestre symphonique de Montréal.

Une salle remplie de centaines d'enfants d'âge préscolaire. Les musiciens de l'orchestre étaient à l'avant en train d'accorder leurs instruments. Les lumières se sont éteintes et le spectacle a débuté, sur des narrations de Pierre Brassard et Sophie Cadieux. L'histoire de Babar n'est pas la plus palpitante qui soit, si bien que les enfants ont vite commencé à se tortiller sur leurs fauteuils.

Des centaines d'enfants qui se tortillent sur leurs chaises : le spectacle est frappant. Heureusement qu'un écran géant s'est mis à diffuser des images pour créer une diversion. Le pouvoir d'un écran est infini sur cette jeune génération, puisque l'attention est momentanément revenue dans la pièce.

Les enfants sont néanmoins chanceux d'avoir accès à de tels événements. Avant de rentrer à l'école, moi, je n'étais pratiquement jamais sorti de la cour. Je ne suis d'ailleurs jamais allé à la garderie.

Les enfants de ma garderie se tapent un concert de l'OSM. C'est, à mon avis, assez symptomatique de cette génération de parents rois dont Josée me parlait récemment. Des parents parfaits qui prodiguent une éducation parfaite à leurs enfants parfaits.

Je me dis néanmoins que les enfants de cette garderie ont de la chance d'être en contact avec différentes expériences sensorielles, susceptibles d'éveiller leurs champs d'intérêt.

Par contre, je demeure convaincu que les enfants ont préféré leur trajet en métro à la pièce.

Après le spectacle, de retour à la garderie, j'ai pratiqué le spectacle de Blanche-Neige avec mon groupe.

Noémi a fait une bonne job à la répétition du matin puisque les enfants étaient déjà mieux structurés.

En soirée, l'équipe de tournage a filmée une soirée typique chez moi. Mes enfants ont été des anges, ce qui va assurément me faire passer pour un papa parfait et ainsi m'attirer la sympathie populaire gnac gnac gnac.

J'ai hâte que cette semaine finisse. Je suis brûlé.

(Jour) 18

  • Moral : Mélancolique
  • État d'esprit : Jour de pluie
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 6
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 5
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 2
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Je suis seul avec Noémi et les enfants aujourd'hui. Pas de tournage. Une journée comme les autres. Une journée où j'essaie de savourer chaque moment puisque c'est officiellement le début de la fin.

J'ai un mélange d'excitation et de mélancolie. Je sais pertinemment que je vais finir par m'ennuyer.

Je savoure le moment de la collation du matin, les casse-têtes assis à la table, le diner et même les visites aux toilettes.

Nous pratiquons à nouveau le spectacle qui sera présenté demain. Noémi a l'idée d'installer un ruban adhésif au milieu de la salle de jeux, et des collants pour indiquer aux enfants leur emplacement pendant le spectacle.

Noémi est un peu préoccupée. Des problèmes avec son fils aîné.

Je passe donc pas mal de temps avec le groupe. Je fais de gros efforts pour ne pas perdre patience avec les enfants. Je n'ai plus rien à prouver après tout. Ma mission est complétée. Je ne deviendrai pas éducateur.

Je regarde Ylias et Joshua qui se chamaille à table. Il y a quelques jours encore, ça me dérangeait. Ce matin, je me dis que c'est simplement deux petits gars énergiques qui ont du mal à se soumettre aux règlements parfois un peu rigides de la vie en garderie.

Après la sieste, Flavie est venue dans mes bras. Je crois que c'est vraiment la seule qui va trouver mon départ difficile. Et vice-versa. Je me suis particulièrement attaché à elle, même si elle ne correspond en rien à la petite fillette parfaite. Elle a toujours la morve aux nez et déplace de l'air mais elle m'a facilement conquis en me faisant confiance et venant toujours s'asseoir sur moi ou en me jouant après l'oreille au réveil de la sieste.

Mignonne Flavie.

Dehors il pleut.

J'ai la même humeur que la température.

(Jour) 19

  • Moral : Satisfait
  • État d'esprit : Et tombe le rideau
  • Niveau de bien-être 10
  • Niveau de fatigue 9
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 9
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 2
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

C'est le grand jour. Je meurs de fatigue en plus après une nuit d'insomnie où je me demandais comment conclure. Comment expliquer aux enfants que je ne serai pas avec eux lundi prochain. Ni mardi.

Je suis fatigué mais néanmoins heureux de tirer un trait sur cette expérience éprouvante. Plus que je le croyais. Je suis d'ailleurs reconnaissant de ma chance d'avoir eu accès à ce qui se passe dans une garderie. Ça risque de changer ma perception et aussi mes relations avec les éducatrices de la garderie de ma fille.

J'admire ces femmes et quelques hommes qui s'occupent de nos enfants et leurs donnent les premiers outils pour une bouchée de pain. Je suis aussi très rassuré de constater que ces éducatrices adorent les enfants et doivent avoir la vocation pour exercer leur travail. Nos enfants sont entre bonnes mains, c'est bon d'en être conscient.

La répétition du matin s'est bien passée. Les enfants sont prêts.

Noémi avait le tract. C'est assurément le premier spectacle de la jeune vie de ces enfants.

En après-midi, Josée m'a rencontré pour me donner une sorte d'évaluation de mon travail ici. Mon bulletin. En gros, je serais un bon aide-éducateur mais je ne suis pas encore prêt à avoir un groupe à moi seul. Je devrais aussi sourire davantage et prendre plus d'initiative avec les enfants. Sinon, je m'adapte rapidement et j'ai un tempérament paternel avec les enfants qui fonctionne bien.

Est-ce que tu m'engagerais Josée ?

-«Pas maintenant en tout cas. Mais toi, tu voudrais vraiment travailler ici Hugo ?»

Les parents ont commencé à arriver vers 16h30 pour le spectacle. Nous avions emménagé la salle, sorti la table et disposé deux rangées de chaises. Les lumières étaient tamisées.

Sentiment étrange de voir les parents de leurs enfants, avec lesquels j'ai passé plus de temps qu'eux ces trois dernières semaines. La maman de Rose est pas mal cute. Celle de Joshua a demandé à Amélie de l'équipe de tournage si j'étais célibataire. Les parents de Clara sont très chaleureux. Ceux de Flavie n'ont pas le choix de constater que leur fille m'a adopté un peu. 

Ils sont tous sympathiques et semblent plus instruits que la moyenne.

Tout juste avant le spectacle, je voulais leur dire un petit mot. Pour les remercier d'avoir accepté de me laisser – moi et l'équipe – avoir accès à ce qu'ils ont de plus précieux au monde.

Salut Clara, qui aimait donc que je la balance. Ylias, qui se sauvait au parc lorsqu'il était temps de partir. Noam et ses petites autos. Simone qui faisait son indépendante mais cherchait mes bras en se levant de la sieste. Éléonore qui connaît toutes les chansons de Passe-Partout. Ariane, l'indépendante. Rose la comique et la meneuse. Joshua, toujours le premier – et parfois le seul - à ramasser les jouets. Et Flavie. Ma Flavie qui m'a mis dans sa petite poche dès le premier jour.

Le spectacle a été un véritable fiasco. La moitié des enfants se sont garochés sur leurs parents en les apercevant dans la salle, les autres ne voulaient pas trop participer. Même Rose, notre vedette, ne voulait pas lâcher sa mère. Seul Ylias est resté sur scène, plein d'enthousiasme.

Les parents ne m'en tiendront pas rigueur. Au moment des adieux, je réalisais que c'était la dernière fois que je voyais mon groupe. J'ai fait une demande futuriste en leur demandant de me faire signe dans quelques années, lorsqu'ils regarderont le documentaire avec leurs amis. Moi en tout cas, c'est le genre de truc que je montrerais à ma première blonde pour l'impressionner.

Et puis, je serais vraiment curieux de savoir ce qu'ils deviendront dans la vie. 

J'avais la gorge nouée, particulièrement en serrant Flavie et Clara dans mes bras. Rose ne voulait pour sa part rien savoir de me dire au revoir.

Pas grave. Ils sont jeunes et ne sont pas encore conscients de tout ce qui se passe en dehors des murs de la garderie ou de leur maison.

D'ailleurs au moment de quitter la garderie une fois pour toute, les premières explosions résonnaient à Paris.

(Jour) 20

  • Moral : Bizarre
  • État d'esprit : Fin abrupte
  • Niveau de bien-être 4
  • Niveau de fatigue 9
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 2
    • Toucher 5

Drôle d'impression de terminer cette immersion sur une note aussi dramatique. J'ai passé ma soirée d'hier rivé devant la télévision, sous le choc. Les attentats de Paris ont jeté une ombre sur la fin de mon expérience en garderie, m'empêchant de boucler la boucle en beauté. Impossible de faire le point ou parler de cette expérience à quiconque (et c'est parfaitement normal) lorsque Paris verse dans le chaos de cette façon. Je suis chez moi et je me demande si le téléphone va sonner. Mes patrons pourraient m'envoyer là-bas. Je suis prêt. Tant qu'à regarder ce qui se passe à travers la télévision, aussi bien avoir les deux pieds dedans. Je suis consterné par les événements, comme tout le monde. Pas le temps de penser à mes débrouillards, il y a un temps pour chaque chose.

(Jour) 21

  • Moral : Mélancolique
  • État d'esprit : Fin
  • Niveau de bien-être 4
  • Niveau de fatigue 6
  • Niveau de compétence 5
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
    • Vue 5
    • Odorat 5
    • Ouïe 4
    • Toucher 5

Je réalise que c'est vraiment la fin. Demain, je ne retourne pas à la Douce École. Ni en France d'ailleurs pour couvrir les évènements. Je retourne simplement au bureau, reprendre ma vie de journaliste où je l'ai laissé la dernière fois.

Ça va faire vraiment étrange de ne pas revoir les enfants. Ils devraient m'oublier rapidement. Je sortirais de leur vie aussi vite que j'y suis entré.

Mais je garde un beau souvenir d'eux, c'est tout ce qui compte.

De toute façon, ils seront difficiles à oublier. La toune des Débrouillards me roule encore dans la tête.

  • Jours
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
  • 6
  • 7
  • 8
  • 9
  • 10
  • 11
  • 12
  • 13
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  • 15
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  • 17
  • 18
  • 19
  • 20
  • 21
Confessions
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