(Jour) 1
- Moral : Curieux
- État d'esprit : Déjà une nouvelle aventure
- Niveau de bien-être 5
- Niveau de fatigue 5
- Niveau de compétence 1
- Niveau de frustration 0
- Apparence physique 5
-
Jauge des sens
- Vue 5
- Odorat 2
- Ouïe 2
- Toucher 2
Je suis un peu parti à reculons ce matin. Pas parce que je ne veux plus participer à cette émission formidable, mais parce que j'ai du mal à reprendre mon souffle entre chaque épisode. Les adieux aux enfants étaient presque mécaniques. Comme s'ils s'y étaient un peu résignés.
Je fixais la route en roulant avec l'assistante-réalisatrice Amélie, tout aussi habitué de me rendre à nouveau vers un endroit totalement inconnu rempli de personnes toutes aussi inconnues qui font des affaires que je ne comprends pas encore.
Cette fois, j'ai transporté mes valises jusque dans un vieux couvent de la belle municipalité de Saint-Jacques, près de Joliette. Je vais passer les trois prochaines semaines au pavillon Louis Cyr, un centre de traitement des dépendances. Je vais y côtoyer 17 personnes inscrites en thérapie fermée pour combattre leurs dépendances aux drogues et à l'alcool. 16 hommes et une femme. Plusieurs y sont pour des raisons carcérales, ce qui signifie qu'ils y vont pour éviter ou alléger des peines de prison.
Sandrine, la patronne m'a fait faire la visite du propriétaire. Une longue visite tellement le couvent est immense. La décoration est magnifique, rustique avec des planchers en bois qui craquent sous nos pas. Les statues de la vierge et autre artéfacts religieux jalonnent notre parcours. Le couvent était une école, donc les vestiaires, salles de classe et cafétérias des écoliers ont été magnifiquement préservés.
J'ai croisé les premiers résidents pendant ma visite, qui faisaient l'aller-retour entre leur dortoir et le fumoir à l'extérieur quatre étages plus bas. L'escalier pour s'y rendre, que l'on emprunte sans arrêt, m'essouffle déjà.
Outre le fait qu'il faudra encore que j'apprenne les noms de plein de nouveaux gens et une réalité que je ne connais pas, j'ai d'entrée de jeu senti une résistance de la part des résidents en thérapie. La présence d'une équipe de tournage ne fait clairement pas l'unanimité. Certains manifestent à voix haute leur désaccord. La patronne Sandrine tente de calmer le jeu. J'ai essayé de créer quelques liens autour d'un diner au hot dog à la cafétéria, mais la méfiance est palpable. J'y suis habitué alors je ne m'en fais pas.
C'est con, mais on ne devrait pas s'habituer aussi aisément à des choses de même.
Mon travail ici n'est pas encore très clair. Je suis sensé être stagiaire en intervention, mais je dors avec les résidents dans leur dortoir (à ma demande pour nouer des liens). Une « chambre » spartiate avec un lit simple et une commode, isolée par un drap et des murs d'environ sept pieds de haut en carton.
Comment vais-je pouvoir aider des gens aux prises avec de lourds problèmes de dépendance ? Avec quelle expertise, sinon celle de plusieurs années de soirées bien arrosées ? Enfin, je suppose que mon rôle va se préciser rapidement.
Parlant de crédibilité, j'ai assisté à un atelier avec Pascal, un intervenant. Une demi-douzaine de résidents y était aussi. Les autres ont refusé, en raison de la présence de la caméra. Étaler sa vie lorsqu'on est au plus bas n'éveille sans doute pas un sentiment de fierté chez certains. On peut comprendre.
Pascal, qui a vécu 18 années de consommation, a le respect des résidents. Il est passé par où ils passent. Son programme d'intervention suit les fameuses 12 étapes, celles utilisées par les alcooliques anonymes. L'atelier d'aujourd'hui était consacré à la sixième. « Nous avons pleinement consenti à ce que Dieu élimine tous ces défauts de caractère. »
Pascal est un bon tribun. Sa voix est forte. Il sacre. Il parle pour que tout le monde comprenne. Mais surtout, il n'y va pas de main morte. « Toé, prends-le pas mal, mais il serait temps que tu farmes ta grande yeule pis que tu bouges », lance-t-il à Sébastien, qui opine du bonnet. C'est son deuxième séjour en thérapie ici. Pas étonnant, lorsque l'on sait que le taux de réussite est de 2 à 3%.
Les gars se parlent durement entre eux, mais avec un grand respect. Ils lavent tellement de linges sales ensemble que le savon revole partout.
Dieu est pas mal présent dans ces étapes. La dimension spirituelle est au cœur de la thérapie. Pas nécessairement celle de Dieu ou d'un autre, mais de quelque chose de supérieur. C'est l'étape 2. « Nous en sommes venus à croire qu'une puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. »
L'athée que je suis risque d'avoir du mal à se laisser convaincre.
Des nouvelles domestiques ont assombri ma journée. Ma blonde Martine avait un rendez-vous chez le médecin. Elle est fatiguée depuis longtemps et elle sentait une bosse sous un de ses seins, près de l'aisselle. Le médecin lui a évoqué les scénarios possibles, du pire au moins pire. D'autres examens suivront ces prochaines semaines.
J'ai un peu de misère à ne pas y penser. Je me sens loin.
À peu près au même moment, les gars ont décidé de me faire mon initiation. Pascal m'a rasé les cheveux. Un peu tout croche. Aston, un résident, a fini le travail. Je ne sais trop quoi penser de ce nouveau look. J'ai l'air d'un cancéreux qui ne saute pas de repas. J'espère m'habituer. Les gars semblaient trouver que c'était mieux ainsi. L'initiation était bidon de toute façon. Les gars voulaient seulement se payer ma gueule. Chouette.
Je dois y aller, j'ai une rencontre avec les Cocaïnomanes anonymes qui débute dans quelques minutes.
Entre les rencontres et les ateliers, les résidents et les intervenants se retrouvent au fumoir. Parce que fumer est la seule dépendance possible ici.
Les premiers jours sont toujours les plus rough.
Les premiers jours sont toujours ceux qu'on voudrait passer à la maison.
Particulièrement aujourd'hui.
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