(Jour) 1
- Moral : Stimulé
- État d'esprit : Hugo à la ferme
- Niveau de bien-être 9
- Niveau de fatigue 3
- Niveau de compétence 6
- Niveau de frustration 0
- Apparence physique 9
-
Jauge des sens
- Vue 1
- Odorat 3
- Ouïe 0
- Toucher 3
À peine remis de ma vie d'itinérant, je pose mes bagages sur une ferme laitière de Beloeil pour les trois prochaines semaines.
La ferme s'appelle Regrain. Elle se transmet dans la famille depuis quatre générations. Il s'agit de la dernière ferme laitière de la ville. Un supermarché IGA, un Subway et plusieurs immeubles à condos de l'autre côté de la rue sont là pour le rappeler. Les bâtiments agricoles et les hectares de terres de Réjean Deslauriers et son fils Vincent détonnent, comme des anachronismes, dans le paysage banlieusard de cette ville dortoir. Mes hôtes sont de véritables personnages. Ça sonne cliché, mais ça s'applique. Le père est un homme avec un cou large comme un bœuf, de grosses paluches rugueuses de gars de ferme et un franc-parler hors du commun. Son fils Vincent, 21 ans, est, quant à lui, un mastodonte de 6 pieds 5 pouces tout aussi coloré. Avec Réjean, leur employé, ils gèrent environ 90 vaches laitières, une grosse installation dans le milieu. Contrairement à d'autres endroits, tout n'est pas automatisé ici. Les trayeuses doivent être installées à main. J'ai visité le site en compagnie des deux hommes. Une expérience stimulante mais déroutante. Derrière mes allures de brute se cache un indécrottable urbanopithèque, à peine capable de mettre du lave-glace dans une voiture.
J'ai eu droit au cours Ferme 101. Beaucoup de matière pour un seul homme. Orgueilleux, je plaide coupable d'avoir hoché plusieurs fois la tête pour faire semblant d'avoir compris quelque chose alors qu'en vérité, ça sonnait juste comme des mots bizarres et inconnus dans mes oreilles. Le jargon de ferme.
En résumé : plus d'une soixantaine de vaches donnent du lait, une dizaine sont en convalescence (elles ont accouché ou vont accoucher, pas clair), une ou deux sont malades, trois devraient accoucher (vêler?!?) d'une minute à l'autre, sans oublier, deux veaux de quelques semaines qui boivent du petit lait pour deux mois dans un enclos à part.
La plupart de ces vaches sont debout, attachées côte à côte. Leurs principales activités : manger de la moulée (mélange de foin et de maïs), pisser, chier. Ces deux dernières activités surprennent, puisqu'elles surviennent sans arrêt et avec beaucoup d'enthousiasme. On a d'abord remplacé la paille des vaches, sorte de litière sous les animaux. On utilise une machine pour épandre la paille. La machine est lourde, difficile à contrôler et semble, malgré les consignes, difficile à actionner. Le fameux train se déroule deux fois par jour. Aux aurores et en fin d'après-midi. J'ai fait le deuxième. J'ai eu le privilège de traire ma première vache. La numéro 35 (on les désigne par numéro). Une vache blanche avec des taches brunes. Classique. Un drôle de feeling. Il y a quatre trayons sur chaque pis de vache. D'abord, il faut traire avec les mains chaque trayon pour évacuer un peu de lait. Je ne sais pas trop encore pourquoi, mais me semble que c'est pour évacuer le mauvais lait. Ensuite, on astique (littéralement, ce qui rend ça plus weird) chaque trayon avec une sorte de lingette humide désinfectante. Puis, on installe la trayeuse électrique sur chaque trayon, ce qui pompe le lait dans des tuyaux menant vers une citerne située à l'entrée de l'étable.
Après le train, on peut rentrer à la maison pour le repas. Il faut TOUJOURS au préalable rentrer par le sous-sol, se déshabiller, se laver dans une salle de bain proche du garage puis, enfiler des vêtements propres. L'étable sent fort. Très très fort même. Son odeur doit rester avec nos vêtements dans une pièce à cet effet au sous-sol. En aucun cas, on doit la transporter avec nous dans la maison spacieuse de mes hôtes.
Comme dans le temps – ou l'image que je m'en fais – , le souper chaud (et délicieux), préparé par la femme de Réjean, nous attendait sur la table en rentrant. En plus de préparer le repas de ses hommes, elle occupe aussi un emploi à plein temps à la Ville. La ferme a toujours fait partie de la vie de cette femme, qui a grandi sur une terre agricole. Sa fille Geneviève était pour sa part en visite. Elle n'a pas voulu suivre les traces de son père, son grand-père et son arrière-grand-père. Elle enseigne au secondaire. «Je veux une vie de famille», résume-t-elle, soulignant au passage l'incompatibilité de la vie agricole à celle familiale.
Elle n'habite plus ici, mais elle travaille toujours à temps partiel au IGA d'en face. C'est moi qui squatte sa chambre pour les trois prochaines semaines. Un grand lit propre, un bureau et une commode. J'écris ce journal étendu sur mon matelas d'ailleurs. Il y aurait encore beaucoup plus à dire, les idées se bousculent dans ma tête, mais il est déjà 22h58.
Tout le monde dort sauf moi. Je dois me coucher à mon tour. À 5h, Vincent va frapper dans ma porte. Mon premier train matinal.
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