21 jours

dans une résidence pour aînés

(Jour) 1

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : L'emménagement
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
    • Ouïe 1
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Voilà. C'est aujourd'hui que je change de vie.

Exit le centre-ville de Montréal où je demeure, avec ses bars et ses cafés branchés, ses nuits mouvementées, son trafic et ses trottoirs surpeuplés. Exit le chum. Exit les sorties entre amis. J'emménage aujourd'hui dans un 1 1/2, un minuscule (selon moi) studio, sans endroit prévu pour cuisiner, dans une résidence pour personnes âgées. Dans le studio, il y a une porte patio de laquelle je peux apercevoir la piscine recouverte de neige dans la cour et, juste en face, un pavillon jumeau à celui dans lequel je vis. Un pavillon composé de dizaines d'autres portes patios identiques à la mienne. Derrière chacune d'elle, une personne vit dans un petit espace où elle est venue passer la dernière étape de sa vie. Combien de ces personnes souffrent d'ennui ? Combien d'entre elles n'ont pas encore survécu au deuil de laisser derrière leurs souvenirs, leur maison, parfois leur conjoint ?  Lorsque le soir tombe, tout devient si calme ici. Les bruits et les lumières disparaissent très tôt. Tout ce qu'il reste de vie aussi.

(Jour) 2

  • Moral : Très bon
  • État d'esprit : Donner du temps au temps
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
    • Ouïe 1
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En arrivant à la résidence, j'étais persuadée que mon plus grand ennemi allait être l'ennui.

Comment survivre à une existence aussi lente et peu remplie ? Pourtant, aujourd'hui, j'avoue avoir goûté au bonheur de prendre mon temps. Cela s'est fait sans que je ne m'en aperçoive, tout naturellement. Dans les corridors, j'ai adopté le même pas lent que celui des résidents et sur l'heure des repas, j'ai attendu, comme tous les autres, que l'on vienne me servir sans aucun signe d'impatience. Surtout, j'ai écouté des tonnes d'histoires. Des histoires qui m'ont projetée à une autre époque, où l'on vivait justement plus lentement qu'aujourd'hui. Loin de m'ennuyer, ces histoires m'ont apaisée. Comme si je m'étais donné le droit, pour la première fois, de mettre ma vie sur le mode « pause ». Sans aucune culpabilité. Du coup, la vision de mon séjour ici a changé. J'ai commencé à envisager cette nouvelle expérience comme une vie entre parenthèse de la mienne, une vie dans laquelle je pouvais me permettre de donner du temps au temps.

(Jour) 3

  • Moral : Très bon
  • État d'esprit : Le whist militaire
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
    • Ouïe 1
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Impossible de passer 21 jours ici sans pratiquer les loisirs les plus populaires de la place : les bingos et les tournois de cartes.

Et ce soir, c'est le grand soir ! Un tournoi de whist militaire est organisé à la résidence. L'activité mensuelle est si populaire qu'elle attire plusieurs personnes des environs, en plus des pensionnaires d'ici. Bien entendu, la plupart des têtes sont blanches, mais je suis tout de même impressionnée de voir les gens de l'extérieur se déplacer en si grand nombre pour venir « veiller » à la résidence. En toute honnêteté, je n'avais jamais joué au whist militaire avant ce soir. J'ajouterais même que je suis une très mauvaise joueuse de cartes, en général. Par manque d'intérêt, par manque de pratique et, surtout, par manque de concentration. C'est drôle à dire, mais, ce tournoi me stressait. Me sachant plutôt mauvaise joueuse et, surtout, devinant à quel point l'activité était prise au sérieux par tous, je ressentais la pression de ne pas décevoir mon équipe. Pourtant, c'est tout le contraire qui s'est passé. Mes coéquipières ont pris le temps de m'expliquer les règles et jouer quelques parties avec moi avant la « grande ». Le moment venu, je me suis sentie encouragée, supportée, taquinée parfois, mais jamais jugée. J'ai retrouvé, ce soir, une lointaine sensation perdue de mon enfance, ce sentiment de réconfort qui m'envahissait chaque fois que je visitais mes grands-parents, aujourd'hui décédés.

(Jour) 4

  • Moral : Neutre
  • État d'esprit : Samedi soir, à la résidence
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
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    • Odorat 0
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Il est six heures. J'ai déjà terminé de souper. Le soir tombe doucement sur la banlieue.

Dehors, le temps semble déjà s'être arrêté. C'est ce soir, en particulier, que la solitude et l'ennui me pèsent. Je sais très bien qu'à Montréal, pour mon amoureux et mes amis, la soirée ne fait que commencer. Pour moi, elle est déjà terminée. Chacun des pensionnaires s'est retiré dans ses quartiers. J'entends en sourdine le son de la télévision chez les voisins. Je sais trop bien qu'elle s'éteindra bientôt. J'ai beau tenté d'essayer de me concentrer sur l'histoire de mon livre, mon esprit divague. Je regarde régulièrement par la porte patio. Dans l'espoir, je suppose, de trouver un peu de vie dehors. Rien. Je m'ennuiiiiiieee.

(Jour) 5

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : L'escapade
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 1
    • Ouïe 1
    • Toucher 1

Aujourd'hui, je me suis enfuie de la résidence.

« Enfuir » est un bien grand mot ! Disons que je me suis permise une escapade pour aller bruncher avec une amie. J'avais l'impression de prendre une grande bouffée d'air frais après avoir passé de longues minutes sous l'eau. En plus, nous sommes allées à Montréal. Le contraste avec la banlieue tranquille où j'habite présentement était saisissant. Les bruits, les couleurs, les gens, tout me paraissait plus vivant et intense. J'ai alors compris ce que ça pouvait représenter pour un résident de sortir changer d'air, de voir d'autres visages que ceux de la résidence. J'ai compris la chance de ceux qui ont des enfants qui prennent la peine de les sortir.

(Jour) 6

  • Moral : Très bon
  • État d'esprit : La saveur du mois
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
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Depuis le début de mon séjour, paraît-il, quelques résidents se sont plaints du fait que j'allais toujours manger à la même table à la cafétéria.

Normalement, pour chaque table de quatre, les places attribuées ne changent pas. Mais certaines personnes étaient déçues de savoir que ça allait être toujours les mêmes qui allaient profiter de ma présence. C'est à la fois adorable et très drôle. Il a donc été convenu que je changerais non seulement de table, mais aussi de section dans la cafétéria de temps à autre. Entre temps, j'ai fait savoir à la responsable que les résidents pouvaient venir me voir en tout temps pour me poser des questions ou jaser. Ce que plusieurs ont fait. Du coup, ça me fait sourire de penser que je suis devenue la saveur du mois de la salle à manger. La coqueluche d'une résidence pour personnes âgées !

(Jour) 7

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : La visite de mes parents
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
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C'est le monde à l'envers. Aujourd'hui, j'ai reçu la visite de mes parents à la résidence.

Je suis allée les accueillir à l'entrée principale avec une marchette. On a bien rigolé. N'empêche, ce moment a été l'occasion pour nous d'aborder l'épineuse question de leur avenir lorsqu'ils seront en perte d'autonomie. J'étais surprise de constater à quel point cette idée avait déjà fait du chemin dans leur tête. Babyboomers, il leur reste encore de belles années devant eux, mais ils sont bien conscients qu'ils risquent beaucoup plus de finir leur vie dans une résidence que dans leur maison ou la mienne ou celle de mon frère. Ils l'acceptent et ils y voient des avantages. Ma mère m'a même avouée qu'elle ne viendrait jamais rester chez moi. Je la soupçonne d'avoir été traumatisée pendant mon adolescence où il fallait entrer dans ma chambre avec un casque de construction et un bulldozer pour se frayer un chemin dans mon désordre. Bref, l'attitude de mes parents se distingue de celle de mes grands-parents, en particulier celle de mes grands-parents italiens, qui ont longtemps appréhendé la vie en résidence, qui ont cherché à l'éviter à tout prix. Je crois que leur vision est assez représentative de l'ensemble de leur génération. Maintenant, il semble naturel pour bien des gens d'entamer la dernière étape de leur vie dans une résidence.

(Jour) 8

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : On vieillit comme on vit
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 0
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    • Ouïe 0
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Ça me semble maintenant bizarre d'y penser, mais avant de venir habiter ici, ma vision des personnes âgées se limitait à un grand bloc homogène de gens partageant grosso modo les mêmes caractéristiques.

Conservateurs, routiniers, mélancoliques… Mais en réalité, il est absurde de voir les choses ainsi. Comme il serait absurde de penser que les enfants sont tous les mêmes. En fait, on vieillit bien comme on a vécu, avec le même caractère… Peut-être un peu mieux affirmé au fil des ans. Peu importe leur âge, je partage beaucoup plus d'affinités avec certains résidents qu'avec d'autres. Je retiens, à travers leur attitude, que c'est possible de vieillir en beauté. À condition de laisser aller les regrets et les remords. À condition d'accepter que les deuils font partie de la vie et qu'il faut se concentrer sur ce qu'il nous reste, plutôt que sur ce que l'on a perdu. À partir de cet instant, la vie jusque dans sa dernière phase peut être belle.

(Jour) 9

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : Sortie de filles
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
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    • Ouïe 1
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Aujourd'hui : sortie de filles ! Je sors bruncher avec celles que l'équipe de tournage a surnommées les « golden girls ».

Quatre femmes extra qui ont choisi de tirer le meilleur parti de leur vie à la résidence. Mesdames Marquette, Cassabon, Lamarche et Vendette. Elles sont vives d'esprit, ouvertes sur le monde, taquines et solidaires. Une vraie bande de filles. Nous sommes parties ensemble à bord du super bolide de mme Marquette, stationné au sous-sol de la résidence. Une « batmobile » fendant l'air glacial du mois de mars à la poursuite de sa mission : nous faire oublier pendant quelques heures la résidence. J'ai adoré ma sortie de filles ! Ces femmes ont été vraiment chouettes avec moi ; elles ont eu le don de me faire sentir comme un membre à part entière de la bande. J'ai vécu avec elles le bonheur de s'enfuir quelques heures pour se retrouver entre amies et partager dans l'intimité nos secrets, nos impressions, nos joies et nos inquiétudes.

(Jour) 10

  • Moral : Mélancolique
  • État d'esprit : Un autre week-end
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
    • Vue 0
    • Odorat 0
    • Ouïe 1
    • Toucher 0

Nous sommes vendredi et la chose que je crains le plus est le week-end qui s'amorce.

Pendant la semaine, je m'habitue tout de même à mon nouveau rythme de vie. Mais c'est la fin de semaine que la solitude et l'isolement me frappe le plus. Je m'ennuie de prendre l'air, de passer du temps avec mon amoureux, avec mes amis. Je m'ennuie de ma liberté.

(Jour) 11

  • Moral : En dents de scie
  • État d'esprit : Une visite surprise
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
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Aujourd'hui, j'ai eu une visite surprise de mon ancien beau-père qui travaille près de la résidence où je demeure.

Quel bonheur, cette visite inattendue ! Elle prenait un tout autre sens ici. À Montréal, une visite surprise s'inscrira dans une journée où j'ai mille et une choses à faire et elle me forcera à prendre une pause inattendue. Ce qui est très agréable, en passant ! Mais ici, c'est tout le contraire. La visite surprise viendra remplir un vide, elle apportera une signification spéciale à une journée qui ressemble à toutes leurs autres journées passées ici. En plus, Mike m'a apporté un bouquet de fleurs et une gerbe de mimosa. De mon petit studio, s'est mis à émaner une agréable odeur de printemps. En ce milieu du mois de mars où l'hiver tire de la patte et ne semble pas pressé de partir, c'est tout de même chouette d'accueillir le printemps dans son appartement, à défaut de ne pouvoir le faire à l'extérieur.

(Jour) 12

  • Moral : Neutre
  • État d'esprit : Chaque jour est un dimanche
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
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Adolescente, j'adorais le groupe de musique The Smiths et son chanteur Morrissey.

Après avoir enregistré quelques albums avec son band, Morrissey a fait carrière en solo et composé l'une de mes chansons favorites d'adolescence, que j'ai dû écouter en boucle au moins mille fois. « Every day is like Sunday. Every day is silent and grey. » Jamais je n'aurais cru qu'une vingtaine d'année plus tard, ces paroles allaient vraiment prendre tout leur sens. Aujourd'hui, nous sommes dimanche. Une journée qui, d'habitude, tourne toujours un peu plus au ralenti que les autres dans ma vie quotidienne. Une journée où je savoure avec bonheur le temps de prendre le temps. Mais ici, chaque jour est un dimanche. Et curieusement, il faut d'abord manquer de temps pour pouvoir savourer ensuite le bonheur de prendre son temps… Sinon, tout le plaisir finit par disparaître.

(Jour) 13

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : La dévotion
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
    • Ouïe 1
    • Toucher 1

Un incident est survenu sur l'heure du midi à la cafétéria.

La doyenne de la résidence, une dame âgée de 99 ans – qui aura 100 ans dans 5 mois – s'est étouffée en avalant un morceau de travers et s'est arrêtée de respirer. Résultat ? Panique dans la salle à manger qui accueille chaque jour 200 résidents ! Et qui a été la première sur les lieux à lui porter secours ? Nulle autre que la directrice de l'établissement. Elle a été d'un courage et d'un calme exemplaire. Mais ce que je retiens surtout, c'est sa dévotion. Son empressement à se précipiter vers la nonagénaire, lui faire expulser le morceau, et puis son immense patience pour la rassurer et la calmer. Je demeure persuadée, après la moitié de mon séjour à la résidence, que son attitude a une grande influence sur l'ensemble de ses employés. C'est fou à quel point les gens travaillant ici sont patients, gentils et généreux. La plupart vous le diront : il s'agit plus d'une vocation que d'un travail. Ceux qui n'aiment pas ne trouvent pas la force de rester. Quant aux autres, peu importe la génération à laquelle ils appartiennent, ils viennent chercher un sentiment semblable à celui que l'on ressent au contact de nos grands-parents ; le réconfort de se sentir acceptés pour qui nous sommes, sans jugement, et de savoir qu'on peut faire leur bonheur à travers de gestes si simples, comme celui de les écouter et de leur porter de petites attentions.

(Jour) 14

  • Moral : Mélancolique
  • État d'esprit : La vie qui continue
  • Niveau de bien-être 6
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
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La question que les résidents me posent le plus souvent est la suivante : « Comment va le bébé ? »

Mon séjour ici se déroule entre mon troisième et mon quatrième mois de grossesse. Dépendamment des vêtements que je porte, mon ventre le laisse à peine deviner. Et pourtant, l'enfant qui naîtra dans quelques mois est devenu l'une des conversations les plus populaires ici. Les femmes me racontent leurs grossesses, le bonheur et les soucis de devenir mère, les hommes font des paris sur le sexe du bébé - encore inconnu ! – et il y a même un résident qui me taquine en m'affirmant qu'en réalité, j'en ai deux parce qu'il y en a un qui se cache derrière l'autre. Ce qui expliquerait, bien sûr, le fait qu'on ne l'ait pas vu à la première échographie. Le sujet d'un enfant à venir provoque une magnifique lumière dans les yeux des personnes âgées. Je crois, dans l'absolu, que c'est parce que cette idée s'avère réconfortante pour les êtres humains que nous sommes. En particulier lorsque nous arrivons au crépuscule d'une longue vie. N'est-il pas rassurant de savoir que si notre existence s'éteindra bientôt, la Vie, elle, continuera d'exister après nous ?

(Jour) 15

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : Pierre
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 1
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Pierre est l'une de ces personnes qui redonne confiance en l'humanité.

Un être profondément bon et généreux - en plus d'être séduisant – et qui a choisi de se consacrer aux autres et à Dieu : Pierre est un prêtre-préposé aux bénéficiaire. La première fois que je l'ai vu, il portait la soutane et il racontait la vie de Joseph aux résidents du « petit manoir », ceux qui ont besoin de plus de soin et d'attention soutenue à la résidence. Quelques minutes après leur avoir donné la communion, il troquait son habit de prêtre pour celui de préposé aux bénéficiaires. Et il partait faire sa ronde auprès des patients nécessitant des attentions particulières, patients dont la plupart viennent assister à sa messe chaque dimanche. Sauf qu'une des parties du travail du préposé aux bénéficiaires consiste à assister des personnes en pertes d'autonomie dans leurs tâches quotidiennes, dont celle de se laver et de s'habiller. C'est une des premières questions que j'ai posées à Pierre : « Comment faites-vous pour leur faire accepter que le prêtre qui les confesse et leur donne la communion est aussi celui qui doit les habiller et leur faire prendre le bain ? » Il m'a répondu qu'il avait trouvé son truc dans la bible. Pour leur faire comprendre qu'il pouvait jouer les deux rôles, il a fait référence à Jésus qui a lavé les pieds de ses apôtres. C'est ainsi que les patients de Pierre lui confient à la fois leur âme et leur corps.

(Jour) 16

  • Moral : Neutre
  • État d'esprit : La politique
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
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La politique. Ça intéresse ou non les personnes âgées ?

Alors que la campagne électorale suit son cours et que l'on pourra regarder le débat des chefs ce soir à la télévision, j'en ai profité pour poser quelques questions aux résidents autour de moi. J'ai eu droit à des réponses aussi surprenantes que diversifiées. J'ai été surprise d'entendre des femmes me dire qu'elles avaient l'habitude de voter comme leur mari. À l'époque, on disait que si on votait différemment, on annulait le vote de notre conjoint. Ainsi, malgré le fait que de nombreuses féministes se sont battues très fort pour avoir droit à une voix au sein de la société, certaines femmes ont été persuadées que leur voix à elle n'avait pas de valeur individuelle, mais seulement une valeur si elle renforçait celle de leur conjoint. Parmi ces électrices, certaines aujourd'hui ne votent plus car c'est leur mari « qui s'occupait de ces affaires-là ». D'autres sont heureuse de pouvoir le faire enfin sans se sentir coupable d'opter pour un parti différent. Je pense à l'une d'elles qui a attendu que son mari péquiste meure pour commencer à voter libéral. Une des phrases que j'ai entendu le plus souvent ? « Il n'y a pas d'enjeux qui me tiennent à cœur pour moi ou les gens de ma génération. Quand je vote, je pense aux jeunes. »

(Jour) 17

  • Moral : Neutre
  • État d'esprit : L’appel du printemps
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 7
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 7
  • Jauge des sens
    • Vue 1
    • Odorat 0
    • Ouïe 0
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Devinez quel est le sujet préféré des résidents à la cafétéria ? La température !

En ce printemps tardif, toutes les conversations tournent autour du fait que la neige tarde à fondre et le froid à partir. Vous me direz que sur ce point, les aînés ne sont pas bien différents de l'ensemble des Québécois. Par contre, là où ils se distinguent de leurs compatriotes d'autres générations, c'est que la neige, la glace et le froid ont un réel impact sur leur liberté. Pour plusieurs d'entre eux, le seul moyen qui leur reste pour bouger et faire un peu de sport est la marche. Mais rien n'est plus traître qu'un trottoir glacé pour une personne aux os fragiles. Alors, la plupart restent enfermés en rêvant au printemps. Au fond de la cafétéria, de grandes fenêtres laissent entrevoir la cour recouverte de neige. Derrière elles, ils sont nombreux à rêver qu'ils jouent à la pétanque, trempent leurs pieds dans la piscine extérieure ou se balancent au rythme du temps qui passe dans les grandes balançoires du jardin.

(Jour) 18

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : L’article du journal des résidents
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 9
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 0
    • Odorat 0
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Ça fait presque trois semaines maintenant que je suis une résidente à part entière au manoir où je vis, je dors, je mange et surtout, où je passe beaucoup de temps à écouter et discuter en me familiarisant avec une autre réalité.

J'ai fini par faire un peu partie de la famille, au point où la responsable du journal m'a demandé d'écrire un article, que j'ai décidé de rédiger sous forme de lettre. En voici un extrait :

« Chers résidents du manoir Cousineau,

Le 5 mars dernier, j'aménageais ici pour passer 21 jours en votre compagnie. En ce 22 mars, je peine à croire que je vous quitterai déjà bientôt. Le temps, qui m'a paru parfois très long, me semble pourtant aujourd'hui avoir filé à vive allure. À l'instar de la vie en soi, j'imagine. N'avons-nous pas tous, au cours de notre existence, eu l'impression de traverser des périodes interminables ? Et pourtant, combien de fois, lorsque nous regardons en arrière, ressentons-nous cette étrange sensation que le temps a filé entre nos doigts ?  Que la vie a passé si vite ? C'est ce que je retiens de vos récits. Car certains d'entre vous m'ont accordé le privilège de m'amener avec eux revisiter leur passé. À travers vos histoires et vos souvenirs, j'ai eu accès à une époque que je n'ai pas connue. Et je vous en suis reconnaissante aujourd'hui. Je me suis rendue compte que, grâce à l'expérience 21 jours, j'ai eu une chance à laquelle on a peu souvent accès dans une société où tout roule si vite : prendre le temps d'écouter. Certains d'entre vous m'ont chanté des chansons, raconté leurs peurs, leur ennui, leurs espoirs et leurs grands bonheurs. Tantôt vous m'avez émue, tantôt vous m'avez fait rire. Surtout, vous m'avez apporté un cadeau particulièrement précieux : la preuve que c'est possible de vieillir en beauté et sereinement. »

(Jour) 19

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : La nécessité des souvenirs
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 0
    • Odorat 0
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Il a fallu que je vienne vivre ici pour mieux comprendre la relation au passé des aînés.

Vous avez sûrement remarqué que plusieurs d'entre eux aiment répéter que « dans le temps, c'était bien mieux. » Ils sont plusieurs résidents à se replonger fréquemment dans leurs souvenirs, à raconter un autre temps. J'ai fini par comprendre qu'une des raisons pour lesquelles ils portaient un regard plus serein et lumineux sur le passé, ce n'est pas tant parce que cette époque était « mieux » que la nôtre, mais parce qu'eux, ils étaient mieux. Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils étaient forts… J'ai fini par comprendre l'importance pour eux de se remémorer le bon vieux temps, de repenser aux objets ou aux habitudes qui ont disparus, de replonger dans leurs souvenirs. Cet exercice leur permet de se reconstruire, de se faire revivre, eux, à une époque où ils pouvaient dire : « on a la vie devant soi ».

(Jour) 20

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : La relativité du temps
  • Niveau de bien-être 7
  • Niveau de fatigue 0
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 0
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J'ai développé un drôle de rapport au temps en venant vivre ici.

En cette avant-dernière journée de mon séjour, je compte pratiquement les heures avant de retrouver mon « ancienne vie ». J'ai hâte de cuisiner et de manger des plats différents de ceux de la cafétéria, j'ai hâte de retrouver mon lit, de marcher librement dans la ville. J'ai hâte, surtout, de retrouver mon amoureux. Le temps qui me sépare de cette vie me semble interminable. Et ce n'est pas la première fois que je trouve le temps long ici. D'un autre côté, quand je repense à mon séjour, j'ai aussi l'impression que le temps a passé très rapidement en bout de ligne. Ça peut paraître paradoxal, mais ce ne l'est pas tant que ça. D'un côté, le temps a passé vite parce qu'en bout de ligne, mon expérience a été très agréable. Parce que je considère que ça a été une chance pour moi de vivre sur un autre rythme de vie, d'avoir le luxe de prendre le temps d'écouter les histoires et les confidences de mes aînés sans sentir que je perdais mon temps, que je pourrais m'occuper à faire autre chose.

(Jour) 21

  • Moral : Bon
  • État d'esprit : La vieillesse
  • Niveau de bien-être 8
  • Niveau de fatigue 1
  • Niveau de compétence 8
  • Niveau de frustration 0
  • Apparence physique 8
  • Jauge des sens
    • Vue 0
    • Odorat 0
    • Ouïe 0
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Nous ne sommes pas égaux devant la vieillesse. C'est ce que je retiens le plus de mon séjour.

Certains ont la chance de vieillir en restant en santé et en gardant un esprit sain. Pour d'autres, leur corps ou leur cerveau peuvent se transformer en une prison qui rend les dernières années de leur vie plus pénibles. Là où nous sommes sur le même pied d'égalité, c'est que la vieillesse nous attend tous et avec elle, les deuils à faire. Bien sûr, nous devrons tous en vivre au cours de notre existence, mais la vieillesse est une période de temps où les deuils seront plus nombreux et rapprochés. Et c'est à cet égard qu'on peut avoir une influence sur notre qualité de vie en fin de parcours. C'est notre résilience, notre capacité à nous attarder à ce qu'il nous reste et accepter ce que l'on a perdu, qui aura un impact direct sur notre humeur et notre bien-être. C'est ce que j'ai appris en venant vivre ici. J'ai rencontré des personnes lumineuses, heureuses d'avoir vécu la vie qu'elles ont vécue, et reconnaissantes de ce à quoi elles avaient encore accès : leur amitié avec d'autres résidents, des fous rires, des soirées de jeux, la visite d'un proche ou parfois, simplement, le bonheur de se replonger dans de bons souvenirs. Enfin, le dernier enseignement que je retire de mon séjour est qu'il faut prendre tout ce qui passe, pendant que ça passe : l'amitié, l'amour, la santé, la reconnaissance des autres, le bonheur de travailler, aussi bien que celui de prendre des pauses. Bref, il faut tout prendre ce que l'on peut prendre de la vie pendant que ça nous est accessible.

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Confessions
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